Percer les mystères du regard des autistes
Un article CHUV |
Déceler le plus tôt possible des syndromes autistiques chez l’enfant en bas âge, afin de permettre une meilleure prise en charge: voici le projet auquel s’attellent depuis plusieurs années de nombreuses équipes de recherche, dont celle formée par des collaborateurs du CHUV et de l’EPFL.
Mais pourquoi s’intéresser particulièrement au regard? «On a remarqué très tôt que les enfants avec autisme avaient ce que l’on appelle une exploration visuelle particulière, explique la Dresse Mandy Barker, du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV (Département de psychiatrie). Par exemple, alors que les enfants normaux chercheront toujours le contact avec le visage et les yeux de leurs parents ou de leur interlocuteur, les enfants avec autisme auront plutôt tendance à éviter le regard de la personne en face d’eux.»
«C’est le résultat de cinq ans et demi de travail, à coups de petites améliorations»
Cette caractéristique s’intègre dans les critères définis par Kanner et Asperger dans les années 1940 qui permettent de diagnostiquer un autisme: difficultés dans les interactions sociales et dans le domaine de la communication, tout en montrant un intérêt dans les activités répétitives. «Evidemment, la réalité est beaucoup plus complexe, admet la Dresse Mandy Barker. C’est pour cela que l’on parle plutôt aujourd’hui d’un trouble du spectre autistique assez hétérogène, dans lequel on retrouve des enfants avec un autisme léger, parfois difficile à déceler, ou beaucoup plus sévère.»
On savait donc que les autistes n’observaient pas le monde qui les entoure comme les autres enfants. Mais on ignorait encore ce qui pouvait bien attirer leur regard. Pour le découvrir, de nombreuses équipes internationales ont développé plusieurs méthodes depuis une dizaine d’années. L’une des plus connues est la technique dite de «l’eye tracking», qui consiste à projeter des images ou une vidéo devant l’enfant, et retracer le parcours de ses yeux à l’aide de lasers: «on a ainsi pu démontrer que l’enfant autiste avait tendance à ne pas s’intéresser aux expressions des visages projetés, mais plutôt à des détails, comme un objet brillant», commente la Dresse Mandy Barker.
Manquait encore la possibilité d’étudier le regard des enfants dans leur environnement. C’est justement dans ce but que l’EPFL a développé la Wearcam: un petit appareil très léger constitué de deux caméras, et pouvant être facilement fixé sur le front, capable d’enregistrer ce que voit l’enfant. Mais le petit «plus», c’est un miroir, installé sous les caméras, qui reflète la position des yeux: grâce à lui, il est possible de déterminer précisément ce que l’enfant regarde.
«C’est le résultat de cinq ans et demi de travail, à coups de petites améliorations, résume Jean-Baptiste Keller, ingénieur en microtechnique à l’EPFL, ayant participé au projet. Il s’agissait également pour nous de réaliser un appareil suffisamment simple à utiliser pour les cliniciens, et que les enfants puissent tolérer facilement.» Environ 60 enfants âgés entre 3 et 10 ans ont participé à l’étude menée de concert entre l’EPFL, le CHUV et les Hôpitaux universitaires genevois (HUG).
A chaque fois, le déroulement des séances était identique: durant une quinzaine de minutes, un thérapeute se tenait devant l’enfant afin de le faire participer à certaines activités ludiques, comme faire des bulles de savon ou de la pâte à modeler. Les données étaient ensuite traitées informatiquement: on mesure en particulier la fréquence, la durée et l’orientation du regard que l’enfant porte aux visages.
Le médecin reste indispensable
«L’objectif est, depuis le départ, d’aider le clinicien, pour qui la décision de savoir si un enfant avec autisme ou non peut s’avérer complexe en se basant uniquement sur son observation ainsi que des critères théoriques que l’enfant ne remplit jamais totalement», commente Aude Billard, professeure associée d’algorithmes et systèmes adaptatifs à l’EPFL et partenaire du projet Wearcam. Pour toute l’équipe ayant participé au projet, il ne faut bien sûr pas s’attendre à ce que les «machines» seules puissent un jour établir un diagnostic concernant l’autisme: «De plus, la petite superficie de la Suisse ne nous permet pas de réaliser des statistiques aussi importantes que celles obtenues aux Etats-Unis par exemple, où une ville comme Boston compte déjà plus d’habitants que notre pays, regrette la prof. Aude Billard. Pour arriver à des résultats comparables, il faudrait que tous les pays d’Europe mettent en commun leurs données.»
Néanmoins, la réalisation de leur projet permet déjà d’affiner le diagnostic chez les enfants en bas âge. «Détecter des traits autistiques chez les moins de 12 mois et poser un diagnostic formel avant l’âge de 24 mois est difficile, explique la Dresse Mandy Barker. Néanmoins, nous recevons de plus en plus d’enfants âgés de moins de 2 ans suspectés d’autisme par leur pédiatre ou leurs parents; et les premiers résultats de nos recherches nous laissent espérer que la Wearcam puisse, dans un proche avenir, nous aider pour lever ou confirmer leur soupçon.»
Prise en charge des enfants autistes
Le Service universitaire de pédopsychiatrie du CHUV propose une consultation ambulatoire spécialisée (CSD-P) pour les enfants de 0 à 18 ans présentant des troubles du spectre autistique. Elle propose une évaluation spécifique de ces difficultés, une réflexion diagnostique et une orientation thérapeutique. La CSD-P offre également un suivi à long terme et un soutien thérapeutique aux familles afin de faciliter leur vie au quotidien.
Pour plus d’informations
Tél. 021 314 37 80 – E-mail: supea.liaisonchuv@chuv.ch
Source
CHUV Magazine, printemps 2011, http://www.chuv.ch/chuvmag_10.pdf