Trisomie 21: premiers pas moléculaires vers une thérapie génique
Comme son nom l’indique la trisomie 21 est une maladie chromosomique caractérisée par la présence anormale, dans chacune des cellules des personnes concernées, d’un troisième chromosome 21. Le fait est établi depuis un demi-siècle mais on connaît toujours fort mal les conséquences biologiques de ce chromosome surnuméraire. Des progrès sont cependant en vue grâce notamment à la biologie moléculaire. Un groupe de chercheurs travaillant en Californie (au Sanford-Burnham Medical Research Institute – La Jolla) et dans diverses institutions chinoises vient de faire une observation qui pourrait se révéler d’une grande importance. Leurs travaux et leurs résultats sont publiés dans l’édition du 24 mars de la revue Nature Medicine. On en trouvera une présentation technique résumée ici (en anglais).
Ces chercheurs sont parvenus à faire un lien entre la présence de ce troisième chromosome et celle de faibles niveaux d’une protéine dans le cerveau. Il s’agit de la protéine dite SNX27. On peut dès lors espérer que le fait d’obtenir une production normale de cette protéine (par thérapie génique par exemple) pourrait permette de restaurer les fonctions cognitives altérées des personnes trisomiques. Un espoir soutenu par les résultats obtenus par les chercheurs sur la souris.
Restaurer les processus de l’apprentissage et de la mémoire
Les auteurs de la publication de Nature Medicine montrent comment la copie supplémentaire du chromosome 21 et la moindre production de protéines SNX27 perturbe le fonctionnement des communications inter-neuronales: cette absence entraîne des altérations de la formation de neurones dans certaines régions du cerveau, altérations qui se caractérisent par des anomalies dans la présence de récepteurs à leur surface. «Dans la trisomie 21, le manque de SNX27 est au moins partiellement responsable des anomalies du développement et des déficits cognitifs», explique le Pr Xu Huaxi (Centre des neurosciences et des recherches sur le vieillissement et les cellules souches, Sanford-Burnham Medical Research Institute), auteur principal de l'étude.
Les souris dont la production de SNX27 est déficiente présentent des altérations majeures des processus de l'apprentissage et de la mémoire. En pratique la protéine SNX27 contribue à protéger les récepteurs du glutamate sur la surface cellulaire des neurones. Or les neurones ont impérativement besoin de ces récepteurs du glutamate pour assurer leurs fonctions de transmission des informations nerveuses. Privées de SNX27, ces mêmes souris ont moins de récepteurs du glutamate actifs, ce qui altère leur apprentissage et leur mémoire et montrent des symptômes équivalents à ceux constatés chez les personnes trisomiques.
Les chercheurs ont alors imaginé que des «micro ARNs» (fragments de matériel génétique ne codant pas directement pour des protéines) pouvaient être indirectement responsables de ces anomalies en influençant la production d’un gène codant. Or des éléments du chromosome 21 assurent la production d’un micro ARN (le miR-155). Et chez les personnes trisomiques l'augmentation des niveaux de ce miR-155 est en corrélation presque parfaite avec la diminution de la protéine SNX27. L’équipe américano-chinoise conclut donc que la présence d’un chromosome 21 supplémentaire a pour conséquence une plus grande production de miR-155, qui a pour effet une diminution des récepteurs du glutamate qui entraîne à son tour des altérations des mécanismes d’apprentissage et de mémorisation.
La question des premiers essais cliniques
Restait à valider de manière expérimentale cette hypothèse. Usant des techniques de la thérapie génique (à l’aide d’un virus non infectieux) les chercheurs sont parvenus à rétablir des niveaux normaux de miR-155 et de SNX27 dans les régions cérébrales touchées de souris trisomiques. Ils montrent de la sorte que la restauration de SNX27 chez ces souris pathologiques améliore leurs fonctions cognitives et leur comportement. «Tout revient à la normale après ce traitement par SNX27», affirment les chercheurs qui constatent aussi une augmentation des taux de récepteurs du glutamate.
Ce n’est pas la première fois que les nouvelles techniques de biologie moléculaire permettent de regarder la trisomie 21 sous un nouveau jour. Fin 2012 des chercheurs du département de médecine de l’Université de Washington avaient ainsi annoncé être parvenus à franchir un nouveau pas. (Voir notre article «La trisomie 21 corrigée sur des cellules humaines en culture»). La question très concrète soulevée par la publication de Nature Medicine est celle de savoir quand les éléments expérimentaux sur l’animal permettront un premier essai thérapeutique sur l’homme.