Rougeole: elle pourrait disparaître dès demain mais….
Sur le front de la lutte contre la rougeole, de bonnes nouvelles viennent d’être publiées dans The Lancet. Entre 2000 et 2010, le nombre des personnes mortes prématurément à cause d’une infection rougeoleuse est tombé de 550 000 à 139 000. Dans toutes les parties du monde (à l’exception de l’Asie du Sud Est) la mortalité a chuté des trois-quarts. Les progrès sont tout particulièrement importants en Afrique subsaharienne où les taux de mortalité ont chuté de 80% durant cette dernière décennie. Dans ce contexte, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une nouvelle initiative vaccinale associant la rubéole. L’objectif est de réduire de 95 % la mortalité liée à la rougeole d’ici à 2015 et d’éradiquer les deux maladies d’ici à 2020. Faire disparaître la rougeole et la rubéole comme on a fait disparaître la variole ? Cet objectif n’aurait rien d’irréaliste si l’on n’observait une recrudescence de l’épidémie rougeoleuse sur le Vieux Continent.
The Lancet évoque d’autre part les interrogations qui accompagnent ces bonnes nouvelles. Elles concernent la mortalité qui reste associée à l’infection par le virus rougeoleux: 47% de ces décès sont enregistrés en Inde et 36% en Afrique. Ces morts sont la conséquence directe d’une couverture vaccinale insuffisante (de l’ordre de 75%). Cette couverture est de 93% sur le continent américain, 95% en Europe et 97% dans les pays de la région Pacifique de l’OMS. Pour le Dr Peter Strebel, responsable des programmes de vaccination à la direction générale de l’OMS (Genève), les retards observés en Inde et la poursuite des épidémies en Afrique demeurent des sujets préoccupants. Ce ne sont pas les seuls.
Un nouveau plan de lutte international
Contrairement à l’image qui lui est associée, la rougeole est loin d’être une maladie toujours bénigne (lire notre article Eradiquer à la fois la rougeole et la rubéole). Elle demeure l’une des principales causes de mortalité dans les pays en développement. A la fois spectaculaire et importante, la baisse de la mortalité reste en deçà de l’objectif de 90% que s’étaient fixés les États membres il y a cinq ans. L’OMS observe que les progrès les plus importants ont été observés entre 2001 et 2008 avant que ne fléchisse le soutien international à cette lutte. Plusieurs organisations dont l’OMS, l’UNICEF et les Centers for Disease and Prevention (CDC) américains (qui ont financé l’étude du Lancet) lancent ainsi un nouveau plan de lutte « rougeole-rubéole ». Les 62 pays qui dans le monde ne vaccinent pas (encore) contre la rubéole sont encouragés à le faire, la vaccination contre les deux infections pouvant être réalisée à partir d’une même injection.
Cette «Initiative Rougeole-Rubéole» est soutenue par l’alliance GAVI à hauteur de 460 millions d’euros. Sont également partenaires l’American Academy of Pediatrics, l’Association internationale de pédiatrie, le Lions Clubs International et le Sabine Vaccine Institute. On estime toutefois aujourd’hui que pour atteindre les objectifs fixés, 112 millions d’euros supplémentaires seront nécessaires.
Le mauvais élève européen
En toute hypothèse, même si elle est débloquée, cette somme ne sera pas à elle seule suffisante. Car si elle est biologiquement réalisable, l’éradication planétaire de la rougeole n’est pas qu’une affaire d’argent. Il faut aussi compter avec un autre phénomène: l’éradication ne sera pas obtenue si la tendance paradoxale observée en Europe ne s’inverse pas rapidement. Et cette tendance est inquiétante. Elle témoigne de l’opposition croissante à la vaccination contre des maladies infectieuses que l’on croit terrassées alors qu’elles ne le sont nullement.
Grâce aux campagnes vaccinales massives chez les jeunes enfants, la rougeole étaient tenue pour éradiquée ou presque du Vieux Continent il y a dix ans. Mais en 2008, 7.822 cas de rougeole étaient enregistrés dans 32 pays, dont 90% dans six seulement: Suisse, Italie, Royaume-Uni, Allemagne, France et Autriche. Des flambées épidémiques étaient notamment décrites dans certains groupes comme les communautés Roms et Sinti en Italie, les Roms et certains immigrants. Ce même phénomène était observé dans les communautés juives orthodoxes en Belgique et au Royaume-Uni, dans un groupe religieux traditionnaliste en France et dans la communauté des gens du voyage au Royaume-Uni et en Norvège. La majorité de ces cas touchaient des enfants non vaccinés ou insuffisamment vaccinés.
Un signal d’alarme donné en 2011
En décembre 2011, un sérieux signal d’alerte avait été lancé par les CDC américains. Les responsables sanitaires étaient agacés de l’évolution de la situation dans l’ensemble de la «région Europe» de l’OMS; 53 pays, incluant également ceux de l’ancienne Union soviétique ainsi qu’Israël et la Turquie. A leurs yeux, la situation qui prévaut aujourd’hui est globalement très négative et doublement préoccupante.
D’abord parce qu’elle repousse à une date désormais inconnue la réalisation de l’objectif de l’éradication planétaire de la rougeole (initialement prévu pour 2010 par les Etats membres de l’OMS). Ensuite, parce que l’importation de cas en provenance d’Europe (et tout particulièrement de France) menace les pays américains. Grâce à une politique volontariste de vaccination ces derniers étaient parvenus à établir l’éradication de cette maladie virale sur l’ensemble du continent.
Le bilan européen avait été détaillé dans le numéro du bulletin hebdomadaire Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) des CDC, daté du 2 décembre. Au 26 octobre, on a, depuis le début de l’année, recensé 26.074 cas d’infection rougeoleuse dans 36 des 53 pays de la région Europe; la France est la première concernée en valeur absolue avec donc 14.025 cas. Les autorités américaines font aussi officiellement remarquer que les pays européens doivent désormais être considérés comme une source potentielle d’introduction du virus rougeoleux (via des personnes infectées, malades ou en cours d’incubation) dans des pays qui étaient devenus indemnes du fait d’une politique vaccinale durablement soutenue.
L'équation est on ne peut plus simple d’un point de vue sanitaire. Elle est nettement plus ardue d’un point de vue politique du fait des résistances croissantes observées vis-à-vis des vaccinations en général, à commencer par celle contre l’hépatite virale B. Question : ces vaccinations vont-elles, en Europe, bientôt cesser d’être «recommandées» pour devenir obligatoires?