Migraines: les innovations sont peu prescrites

Dernière mise à jour 03/09/24 | Article
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Après les anticorps injectables contre la migraine, de nouveaux médicaments sous forme de comprimés ont été autorisés en Suisse, mais leur remboursement est soumis à des critères drastiques.

L’arrivée sur le marché suisse, à l’été 2018, de l’érénumab pour traiter les migraines avait été un évènement, tant pour les neurologues que pour les patients. Cet anticorps monoclonal était le premier traitement «defond» spécifiquement développé pour la prévention des migraines. Cependant, les conditions fixées pour son remboursement ont vite fait déchanter les patients, dont seule une minorité a pu le tester. Et la situation est en passe de se reproduire avec les «gépants», dernière innovation thérapeutique dans ce domaine. 

La migraine est au cœur d’un véritable paradoxe: très fréquente et invalidante, cette maladie neurologique est encore souvent confondue avec un simple mal de tête et ses conséquences sont minimisées. «Il y a clairement une mauvaise perception de la société, et aussi de certains médecins non spécialistes, de cette maladie qui touche environ 12 à 14% de la population suisse. Pourtant, de nombreuses études ont montré qu’il s’agit d’une des principales causes de perte d’années de vie en bonne santé, avec des coûts individuels mais aussi sociétaux importants», rappelle le Pr Andreas Kleinschmidt, médecin-chef du Service de neurologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). 

Un lourd poids socio-économique

La migraine touche majoritairement des femmes, chez qui elle se manifeste souvent dès l’adolescence et jusqu’à la ménopause, donc sur toute leur période d’activité scolaire et professionnelle. L’Organisation mondiale de la santé, qui décrit cette maladie comme un réel fardeau, indique qu’au Royaume-Uni, «la migraine est à elle seule responsable de la perte de quelque 25 millions de journées de travail ou de scolarité par an». Le manque de reconnaissance de ce poids sanitaire et social a aussi un impact sur les budgets de recherche, moindres que pour d’autres maladies, ce qui freine le développement de nouveaux médicaments. Or beaucoup de personnes souffrant de migraines ne sont pas suffisamment soulagées par les thérapies existantes. 

La prise en charge repose sur des traitements dits de crise, qui agissent contre la douleur de manière aiguë, et sur d’autres dits de prévention, pris au long cours, avec l’objectif de réduire la fréquence et/ou l’intensité des crises. L’innovation la plus «récente» date d’il y a plus de trente ans; il s’agit des triptans, antidouleurs spécifiques pour les migraines. Quant aux traitements de fond, les patients se voient proposer des médicaments – souvent anciens – contre l’hypertension, les convulsions ou la dépression. «Ces molécules sont efficaces chez certains, mais il est nécessaire de les prendre pendant au moins trois mois pour évaluer leur efficacité. Or beaucoup de personnes arrêtent avant à cause des effets secondaires jugés trop lourds au quotidien», explique le Pr Kleinschmidt. 

Véritable révolution thérapeutique

Les innovations thérapeutiques arrivées sur le marché depuis 2018 sont le fruit de près de quarante années de recherche et ont été rendues possibles par la découverte d’une petite molécule, le CGRP (Calcitonin gene-related peptide), impliqué dans le déclenchement de la crise migraineuse. Les anticorps monoclonaux se fixent sur le CGRP ou son récepteur, ce qui l’empêche d'agir, bloquant ainsi la voie de signalisation. Les nouveaux gépants font de même, en se fixant à la place du CGRP sur ses récepteurs cellulaires. «Les anticorps ont été une réelle révolution thérapeutique, tout comme le sont aujourd’hui les gépants. Mais leur bénéfice potentiel pour les patients migraineux est limité par des conditions de remboursement aussi strictes que pour les anticorps monoclonaux, déplore le Pr Philippe Ryvlin, chef du Département des neurosciences cliniques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). C’est dommage de voir enfin arriver des nouveautés pour traiter une maladie aussi invalidante que la migraine, mais que si peu de personnes y aient accès.» 

Indiqués dans la prévention de la maladie, les anticorps monoclonaux se présentent sous forme injectable et doivent être administrés une fois par mois ou tous les trois mois. Les gépants – deux molécules sont disponibles en Suisse, l’atogépant et le rimégépant – se prennent eux par voie orale, respectivement tous les jours et un jour sur deux. Initialement développés pour traiter les crises, ils sont aujourd’hui indiqués dans la prévention de la migraine, unique motif pour lequel ils peuvent être remboursés, alors que le rimégépant aurait également une efficacité contre les crises migraineuses. «Pour bénéficier d’une prophylaxie par gépant, il faut démontrer que le patient souffre de migraine au moins 8 jours par mois, qu’il a déjà testé sans succès deux des traitements de fond classiques ou qu’il présente des contre-indications pour ces médicaments. Et si le nombre de jours de migraine n'est pas réduit d’au moins 50% par le gépant après six mois, il n’est plus remboursé», décrit le Pr Ryvlin, qui s’étonne encore que les personnes pour lesquelles les anticorps n’ont pas été efficaces ne puissent pas essayer les gépants. «Je ne connais aucun autre domaine où l’on ne peut pas tester différentes molécules d’une classe thérapeutique, renchérit le Pr Kleinschmidt. Et je m’étonne que l’Office fédéral de la santé publique ait choisi de ne pas prendre en compte les coûts indirects induits par la migraine pour évaluer les bénéfices de ces médicaments et leurs modalités de remboursement. C’est inadéquat et inapproprié pour une maladie où une grande partie des coûts est indirecte.» 

Actuellement, ces médicaments sont vendus entre 15 et 35 francs par comprimé. Les assurances complémentaires prennent parfois en charge tout ou partie des coûts «et quand ce n’est pas le cas, certains de nos patients paient de leur poche», constate le Pr Ryvlin, qui déplore une médecine à plusieurs vitesses. Une baisse significative des prix pourrait sans doute faire évoluer les conditions de remboursement. Mais pour cela, il ne faut pas compter sur les formes génériques: elles n’arriveront pas avant de nombreuses années, bien trop longues pour beaucoup de migraineux.

Explorer les options non médicamenteuses

Les migraineux le savent bien, les médicaments sont souvent nécessaires mais pas suffisants. Alors chacun explore, teste, dans l’espoir de trouver des remèdes qui apportent un peu de soulagement supplémentaire. Pour éviter les crises, tant que faire se peut, il est important d’identifier les éventuels facteurs déclenchants. Cette démarche nécessite de tenir un carnet de bord consignant toutes les habitudes de vie (alimentation, activités, sommeil, etc.) afin de mettre le doigt sur un éventuel coupable. Sur un autre plan, pratiquer régulièrement une activité physique a démontré son efficacité pour réduire la fréquence des crises. L’acupuncture est aussi reconnue dans la prise en charge de la migraine. Les médecines manuelles et la physiothérapie peuvent être utiles chez les personnes dont les crises sont associées à des points de contracture dans les cervicales ou les épaules. Il faut cependant se rappeler que la migraine est une pathologie complexe: ce qui marche pour une personne n’est pas toujours utile à une autre. Mieux vaut donc s’armer de patience…

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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/08/2024

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