Et si c'était un Covid long?
Place à la santé intégrative
C’est une formule encore nouvelle pour une tendance s’invitant de plus en plus dans la société jusqu’aux couloirs des hôpitaux: la «santé intégrative» vise à concilier médecines conventionnelles et complémentaires pour une prise en charge globale de l’individu. «Au vu de ses symptômes diffus et complexes, l’affection post Covid-19 est une candidate parfaite pour une telle approche», résume la Dre Mayssam Nehme, médecin au Service de médecine de premier recours des HUG. Impliquée dans un projet visant à évaluer la pertinence d’une consultation de médecine intégrative aux HUG pour des patients atteints de Covid long, l’experte le constate: «En parallèle des traitements pharmacologiques dont nous disposons, des approches comme l’hypnose, l’ostéopathie ou encore l’acupuncture semblent apporter des bénéfices nets à des personnes malmenées par des symptômes pour lesquels la médecine conventionnelle n’a pas toutes les réponses. Cette complémentarité des approches prend aujourd’hui tout son sens.»
Simple contrecoup d’une infection par le Covid-19? Fruit d’un peu trop de cogitations et d’inquiétude? … ou vraie pathologie? La réponse à la question des symptômes inhérents à ce qui a d’abord été appelé «Covid long» n’a pas été immédiate. La faute à une pandémie inédite et à un cortège de symptômes pendant et après l’infection tout aussi nouveaux. La faute également à des maux eux-mêmes fréquents, difficilement mesurables par des examens médicaux et pouvant être associés à de multiples facteurs. Et pour cause, on parle de fatigue, troubles de la concentration et de la mémoire, palpitations, troubles du sommeil, vertiges ou encore essoufflement.
Ce que l’on sait aujourd’hui? «Déjà que cette affection existe bel et bien! souligne la Dre Mayssam Nehme, médecin au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Car en effet, il y a eu beaucoup de flottements les premiers temps, les patients rapportant des symptômes difficilement explicables. Mais rapidement les études se sont multipliées et attestent aujourd’hui de l’existence d’un syndrome caractéristique, qui toucherait jusqu’à 20% des personnes atteintes par le virus.» Si le terme «Covid long» reste admis, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle désormais d’«affection post Covid-19» et la définit comme une maladie survenant chez des personnes qui ont des antécédents d’infection probable ou confirmée par le SARS-CoV-2 (virus du Covid-19), les symptômes se manifestant généralement dans les trois mois suivant l’infection, persistant au moins deux mois et ne pouvant être expliqués par un autre diagnostic.
Si la définition s’est précisée, les mécanismes sous-jacents restent au cœur de l’énigme… même si certains indices apparaissent. «Comme le détaille un récent article paru dans la revue Science*, deux phénomènes pourraient être en jeu, indique la Dre Nehme. Le premier concernerait le système immunitaire qui, chez certaines personnes, se dérégulerait après une infection par le Covid-19. Par ailleurs, la présence de certains anticorps pourrait déclencher le second phénomène observé: la persistance de marqueurs d’inflammation par le biais de molécules spécifiques, les cytokines.» À noter que d’autres phénomènes tels que la présence de particules virales sont aussi à l’étude.
Des symptômes persistants ou nouveaux
D’où la persistance ou l’apparition de symptômes, parfois après une période de rémission. «Un délai de quelques semaines peut être observé entre la fin des symptômes de l’épisode aigu et ceux de l’affection post Covid-19», confirme la Dre Nehme. Et, fait plus déroutant encore: ils peuvent être différents et plus intenses que ceux ressentis lors de l’infection initiale. Quant aux profils des victimes? Là aussi, le tableau se précise. «Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés, confirme l’experte. Parmi eux: être de sexe féminin, avoir souffert de nombreux symptômes lors de l’infection par le Covid-19, être en surpoids ou encore souffrir d’asthme. À noter que cela reste des facteurs de risque et que personne n’est à l’abri de cette pathologie.» À ce titre, le récent article de la revue Science fait état de 54% de cas d’affection post Covid-19 chez les patients ayant été hospitalisés en raison du Covid-19.
Alors en cas de doute, que faire? «Consulter son médecin généraliste, conseille la Dre Nehme. Même si, à ce jour, il n’existe ni test ni traitement spécifique pour cette affection, une prise en charge médicale s’impose si les symptômes persistent et entravent les activités quotidiennes. Le premier enjeu est de pouvoir exclure une autre cause, car des maux tels que fatigue ou vertiges peuvent être le signe d’une pathologie tout autre. Le second enjeu est bien sûr de traiter les symptômes, autant que possible.» Et la spécialiste de poursuivre: «Pour certains d’entre eux, comme les troubles du sommeil, des solutions thérapeutiques existaient déjà. Mais pour la fatigue par exemple, qui est la plainte la plus fréquente, le défi est plus complexe. Or, de par son ampleur, elle plonge certains patients dans une détresse absolue.» La solution? «Elle est à ajuster au cas par cas bien sûr, poursuit la Dre Nehme. Mais une affection aussi complexe et envahissante que l’affection post Covid-19 peut être l’occasion d’élargir la palette de soins, en ambulatoire comme à l’hôpital, au travers de la santé intégrative par exemple (lire encadré).»
Et l’experte de conclure: «Beaucoup de chemin reste à parcourir pour percer tous les mystères de cette pathologie nouvelle et il faut se méfier de tout "remède miracle" prôné ici ou là. La recherche médicale a besoin de temps, même si elle nous prouve depuis deux ans qu’elle est capable de prouesses exceptionnelles.»
Plateforme «Rafael»: l’intelligence artificielle en renfort
Si les consultations spécialisées se sont multipliées pour prendre en charge les cas les plus complexes d’affection post Covid-19, un autre projet inédit a vu le jour pour optimiser sa prise en charge grâce au Pr Idris Guessous, médecin-chef du Service de médecine de premier recours des HUG,
et à la Fondation privée des HUG: la plateforme interactive «Rafael»**. Mise en place par les HUG, elle compte aujourd’hui de nombreux partenaires de soins en Suisse romande et au Québec. Son objectif: orienter et informer patients et partenaires de soin avec des outils inédits. Parmi ses innovations? L’intégration d’un chatbot, programme informatique fondé sur l’intelligence artificielle, associant questions des internautes et réponses de professionnels de santé pour auto-alimenter sans cesse les informations disponibles sur le sujet.
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* Merad M, Blish CA, Sallusto F, Iwasaki A. The immunology and immunopathology of COVID-19. Science. 2022 Mar 11;375(6585):1122-1127.
Paru dans Le Matin Dimanche le 03/07/2022