Médicaments contre les brûlures d’estomac: efficaces, mais pas inoffensifs

Dernière mise à jour 12/02/20 | Article
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Très fréquemment prescrits pour traiter le reflux gastro-œsophagien, les inhibiteurs de la pompe à proton ont de nombreux effets indésirables à long terme.

Inhibiteurs de la pompe à proton (IPP). Derrière ce nom barbare se cachent des médicaments quasiment «miracle» pour les personnes souffrant de reflux gastro-œsophagien. Grâce à eux, elles sont rapidement débarrassées de leurs brûlures d’estomac et des fréquentes remontées d’acide dans la bouche. Mais la médaille a son revers car, à long terme, les IPP ont divers effets indésirables. L’un d’eux vient d’être confirmé par des médecins autrichiens. A l’issue de la plus vaste étude réalisée dans ce domaine, ils ont constaté que ces médicaments favorisaient le développement des allergies.

L’estomac renferme de l’acide chlorhydrique qui participe à la digestion des aliments. Après un repas, une partie de ce suc gastrique remonte dans l’œsophage. C’est ce que l’on nomme le reflux gastro-œsophagien. «Nous en avons tous, précise le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastroentérologie et hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Mais nous n’en sommes pas conscients et surtout, nous possédons des mécanismes de protection qui éliminent cet acide». Toutefois, chez certaines personnes, ce reflux devient pathologique. Notamment chez celles dont le sphincter œsophagien, sorte de valve qui s’ouvre pour laisser passer la nourriture ingurgitée, ne se referme pas correctement. Renvois acides, brûlures de l’estomac: le mal est très handicapant. Dans les situations les plus graves, «les gens ne peuvent plus manger».

Sans compter que le reflux engendre bon nombre de complications. Des problèmes dentaires, une exacerbation de l’asthme, des ulcères pouvant conduire à des hémorragies digestives et, dans de rares cas, un cancer de l’œsophage.

Révolution

Auparavant, le seul traitement disponible consistait à prescrire des antihistaminiques qui bloquent les sécrétions acides. Lorsque les premiers inhibiteurs de la pompe à proton ont été commercialisés au début des années 1980, «cela a été la révolution», explique Jean-Louis Frossard. Ces IPP, qui inhibent les cellules de l’estomac synthétisant l’acide chlorhydrique, ont multiplié par deux le taux de guérison. «Ils ont permis d’éradiquer non seulement le reflux gastro-œsophagien, mais aussi diverses maladies liées à un excès de production d’acide, comme les gastrites, les hémorragies digestives, etc.»

Ces médicaments sont très efficaces, «un comprimé quotidien suffit à inhiber 80 à 85% de l’acidité de l’estomac». En outre, ils sont simples à prendre et agissent rapidement: «Au bout de trois jours, les patients se sentent bien.»

Il n’en fallait pas plus pour que ces IPP soient plébiscités par les médecins qui se sont mis à les prescrire fréquemment. Y compris pour prévenir les problèmes gastriques chez les personnes qui prennent des anti-inflammatoires ou, dans les services hospitaliers, pour éviter les ulcères de stress. A tel point qu’aujourd’hui, on estime que les IPP arrivent en quatrième position des médicaments utilisés dans les hôpitaux suisses. Ce qui est «sans doute sous-estimé», commente le gastro-entérologue, selon qui on assiste à une «surprescription».

C’est d’autant plus dommageable qu’après une première période d’euphorie, «on a eu de mauvaises surprises», note Jean-Louis Frossard. Comme tous les médicaments, les IPP ont des effets indésirables. Ils provoquent des problèmes gastriques (nausées, vomissements, douleurs abdominales, ballonnements, diarrhées, constipation). Mais en plus, lorsqu’ils sont consommés à long terme, leurs méfaits peuvent être plus graves.

Complications

En éliminant l’acidité de l’estomac, ils suppriment une barrière protectrice contre les bactéries pathogènes de l’alimentation. Les personnes qui prennent des IPP souffrent, plus fréquemment que les autres, de gastro-entérite ou, quand les microorganismes pénètrent dans les poumons, de pneumonie.

En outre, dans la mesure où «l’absence d’acidité gastrique empêche l’absorption normale du calcium, les IPP favorisent le développement de l’ostéoporose, explique le Pr Frossard. Les os étant plus fragiles, le risque de fracture augmente – il croît de 40% à partir de deux ans de consommation régulière».

Sans compter que lorsqu’on arrête le traitement, le reflux réapparaît avec force. «Cet effet rebond a surtout été observé chez des volontaires sains à qui l’on a fait prendre des IPP», précise le médecin genevois. Il a aussi affecté des personnes qui ne souffraient pas de reflux et qui, après avoir pris ces médicaments à titre préventif, se sont mis à en avoir.

A ces complications déjà bien documentées, il faut maintenant ajouter le risque d’allergie, à en croire une étude récemment publiée par des médecins autrichiens. Ceux-ci ont analysé les données recueillies entre 2009 et 2013 par les assurances santé de 97% des habitants de leur pays (ce qui représente plus de huit millions de personnes). Ils ont alors constaté que ceux qui prenaient des IPP étaient deux à trois fois plus nombreux à prendre aussi des antihistaminiques, des médicaments utilisés pour lutter contre les allergies. «Cette étude est intéressante et confirme un travail fait sur les souris, commente Jean-Louis Frossard. Toutefois, elle ne montre qu’une association entre les IPP et les allergies, et non pas un lien de cause à effet. En outre, elle ne précise pas de quel type d’allergie (respiratoire, alimentaire, etc.) souffrent ces gens. Il faudrait une analyse plus précise.»

Quoi qu’il en soit, malgré leurs inconvénients, les IPP restent inégalés à ce jour pour traiter le reflux gastro-œsophagien, même s’il existe quelques traitements alternatifs (lire encadré). Pour les remplacer, les laboratoires de recherche explorent une tout autre voie, cérébrale cette fois. «Le sphincter de l’œsophage s’ouvre plusieurs fois par jour en réponse à des signaux envoyés par le cerveau. Si l’on trouve une molécule qui bloque ce mécanisme, on pourrait fermer la porte et non pas se contenter de traiter les symptômes.» Toutefois, d’après le gastro-entérologue, «la recherche n’est pas très avancée». 

Des traitements alternatifs

Pour traiter les patients souffrant de reflux gastro-œsophagien qui ne répondent pas aux inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) ou qui ne supportent pas leurs effets secondaires, les médecins disposent de quelques médicaments alternatifs.

Certains d’entre eux «capturent l’acide de l’estomac», d’autres forment «une sorte de pansement qui protège l’œsophage», explique le Pr Jean-Louis Frossard, gastro-entérologue aux HUG. Quant au bicarbonate, il neutralise l’acide gastrique. Toutefois, alors qu’il suffit d’un comprimé par jour d’IPP pour mettre fin au reflux, ces médicaments doivent être pris «toutes les quatre ou six heures, à long terme». Par ailleurs, comme les IPP, ils entraînent des effets secondaires digestifs, principalement des diarrhées.

Dans certains cas, on a recours à la chirurgie pour fermer le sphincter de l’œsophage afin qu’il ne laisse pas remonter les sucs gastriques. Une autre solution, réservée à des indications très strictes,consiste à mettre sur l’œsophage des électrodes qui ferment régulièrement son sphincter.

Les personnes prenant des IPP peuvent se nourrir à peu près normalement. Pour les autres, «changer la manière de s’alimenter peut aider», précise le médecin genevois. Il est préférable «de faire quatre à six repas légers par jour et d’éviter de se coucher moins d’une heure après avoir mangé». Le Pr Frossard recommande les régimes pauvres en graisses (dont le temps de transit dans l’estomac est d’environ huit heures) et riches en protéines et en sucres (qui ne restent que quatre heures dans l’estomac).

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Paru dans Le Matin Dimanche le 12/01/2020.

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