Nitrites: devons-nous arrêter de manger de la charcuterie?

Dernière mise à jour 02/07/20 | Article
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Pointées du doigt depuis longtemps, les viandes transformées sont aujourd’hui dans le viseur de plusieurs organismes, dont certains demandent d’interdire purement et simplement l’utilisation des nitrites dans l’alimentation.

Les nitrates, dans les légumes aussi…

D’après l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les nitrates d’origine végétale représentent jusqu’à deux tiers de la présence des nitrates dans l’organisme. En effet, ces derniers se trouvent naturellement dans certains légumes (épinards, roquette, laitue…). Pourquoi alors, contrairement à ceux présents dans la charcuterie, ne sont-ils pas pointés du doigt ? «Il semblerait qu’une petite partie seulement des nitrates sont transformés en nitrites par l’organisme», précise le Dr Patrick Edder, chimiste cantonal au Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) de Genève.

Par ailleurs, aucune corrélation entre un régime riche en végétaux et l’augmentation du risque de cancer n’a été mise en avant. Au contraire, les antioxydants, notamment de la vitamine C, limiteraient la formation de composés N-nitrosés. «Nous avons comparé les risques et les bénéfices de l’exposition aux nitrates liée aux légumes et nous avons conclu que les effets bénéfiques de la consommation de légumes prévalent», déclarait l’EFSA dans l’un de ses rapports sur le sujet. 

Il y a quelques mois, une pétition a fait grand bruit dans le monde de l’industrie alimentaire, tout autant que dans celui de la santé. Associée à l’organisation Foodwatch et à l’application Yuka, la Ligue française contre le cancer a appelé ses concitoyens à se mobiliser pour faire retirer certains additifs des lignes de production alimentaire.

Ce n’est un secret pour personne, la consommation de charcuterie, considérée comme un aliment «ultra transformé», augmente le risque de cancer colorectal, et, probablement, de l’estomac. Depuis 2018, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a confirmé sa nocivité en l’inscrivant sur la liste des «agents cancérogènes pour l’homme» (groupe 1). Certains des additifs utilisés pour la fabrication sont particulièrement pointés du doigt. «Les produits nitrés, notamment le nitrate de sodium, est ajouté aux charcuteries et dans la viande pour des raisons antiseptiques», explique le Dr Dimitrios Samaras, médecin nutritionniste à Genève et consultant de l’Unité de nutrition des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). E249, E250, E251 et E252… ces codes ne vous disent peut-être rien et pourtant ils assurent à vos saucissons, jambons et autres lardons une conservation de longue durée et une couleur appétissante. Utilisés depuis des siècles, les nitrites permettent en effet d’empêcher certaines bactéries de proliférer, nous prémunissant de maladies telles que le botulisme ou la salmonellose. Mais ils ne sont pas pour autant tout roses…

Un procédé chimique lourd de conséquences

Les éléments nitrés sont rapidement absorbés par le corps. Une partie des nitrates, sous l’action des bactéries présentes dans la salive, est alors convertie en nitrites. «Au contact d’amines présents dans le milieu acide de l’estomac, les nitrites peuvent être transformés en éléments N-nitrosé, en particulier des nitrosamines, composés chimiques reconnus comme “probables cancérogènes“ par le CIRC », explique le Dr Samaras. Considérées comme «génotoxiques», les nitrosamines peuvent entraîner des lésions de l’ADN, causant des mutations et pouvant provoquer l’apparition de lésions cancéreuses. Dans une vaste méta-analyse réunissant plusieurs études scientifiques, le CIRC a conclu à la corrélation suivante: «Chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée quotidiennement accroît le risque de cancer colorectal de 18%.»

La faute uniquement aux nitrites? Non, probablement pas. «L’effet néfaste des viandes transformées est en partie dû aux nitrosamines, mais pas uniquement à cela», explique le spécialiste. D’autres facteurs peuvent également être incriminés: le fer héminique, les phosphates, ou encore les acides gras saturés, eux aussi susceptibles d’entraîner des conséquences sur la santé.

Les nitrites, vraiment indispensables?

Dans sa pétition, la Ligue française contre le cancer demande d’en finir avec les additifs. Une proposition qui, dans les faits, reste difficilement réalisable, même si des alternatives existent. Face à la forte demande des consommateurs, ou soucieux d’alléger leurs produits en additifs, fabricants de charcuteries artisanales comme industrielles se sont penchés sur d’autres modes de conservation, en utilisant par exemple des nitrates d’origine végétale. Mais pour assurer une production intensive, des délais de conservation longs et une sécurité sanitaire maximale, ces acteurs de l’industrie alimentaire n’ont cependant pas vraiment le choix. «Le risque de contamination bactérienne pourrait s’avérer très grave, prévient le Dr Patrick Edder, chimiste cantonal au Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) de Genève. La question doit donc être appréhendée dans sa globalité, en tenant compte de la balance bénéfice/risque.»

En l’état actuel des connaissances, les consommateurs sont invités à limiter leurs apports en charcuterie et à leur préférer des viandes non transformées. Dans les conclusions de son enquête nationale sur l’alimentation, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) recommande «de ne pas consommer des produits à base de viande transformée – comme les saucisses ou la charcuterie – plus d’une fois par semaine».

 «Le mieux serait évidemment de bannir totalement la charcuterie, car d’un point de vue nutritionnel, elle n’apporte rien de bon à la santé, ajoute pour sa part le Dr Samaras, dans la lignée des données du CIRC. Mais sans être aussi stricte, l’important est de tendre à une alimentation la moins transformée possible pour diminuer la charge d’additifs dans notre assiette quotidienne.»

En Suisse, le seuil et le type d’additifs utilisés dans la fabrication de produits carnés sont néanmoins réglementés et une interdiction totale de leur utilisation, comme le demande la Ligue française contre le cancer, n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour. «Affirmer que l’interdiction des additifs aurait un effet positif sur la prévalence des cancers n’est pas évident, explique le Dr Kevin Selby, chef de clinique et chercheur au Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne (Unisanté). Les études existantes sont surtout basées sur des observations, et il est difficile de les faire aboutir, en l’état actuel des connaissances scientifiques, vers des interventions concrètes. »

Vrai/Faux sur les nitrites

Le jambon «bio» est forcément sans nitrites.

Faux. Le cahier de charges de l’alimentation bio n’interdit pas l’utilisation de nitrite de sodium (E250) et de nitrate de potassium (E252), qui reste à ce jour le moyen le plus efficace pour protéger la charcuterie de certaines bactéries. En revanche, il limite les quantités de ces additifs. «Le bio est un mode de production, et non pas un critère de qualité», rappelle le Dr Patrick Edder, chimiste cantonal au Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV) de Genève.

Une charcuterie artisanale est sans nitrites.

Faux. Si certains charcutiers utilisent d’autres méthodes de conservation, la salaison au sel nitrité reste largement répandue et traditionnellement utilisée pour conserver les produits carnés. «Opter pour d’autres méthodes est possible, mais un contrôle qualité stricte est important, car le risque de contamination bactérienne est grand», explique le Dr Patrick Edder.

Si la charcuterie est rose, il y a de fortes chances qu'elle contienne des nitrites.

Vrai. Sauf mention contraire ou ajout de colorant, un additif est généralement à l’origine de la couleur vive de la charcuterie, sans quoi, à l’état naturel, elle possède une teinte grise. Il peut s'agir d'additifs chimiques nitrés (nitrites de sodium, nitrites de potassium...) ou de nitrates d'origine naturelle issus par exemple du jus de céleri.

Les fabricants sont soumis à une règlementation stricte en Suisse.

Vrai. Dans son ordonnance sur les additifs, le Département fédéral de l’intérieur a défini un seuil maximal d’utilisation des nitrites dans les denrées alimentaires. « Des contrôles au niveau national sont faits régulièrement sur les aliments qui en contiennent », ajoute le Dr Patrick Edder.

Sur l’étiquette, il suffit de vérifier l’absence de nitrites pour s’assurer de la qualité d’un produit.

Faux. Si certains industriels mettent en avant l’absence de nitrites dans leurs produits, d’autres éléments doivent être pris en compte, comme la présence d’autres additifs, mais aussi la teneur en sel ou en gras du produit.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 15/03/2020.

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