Manger en respectant son rythme biologique, c’est bon pour la santé!
C’est chez les travailleurs de nuit que les problèmes entre rythme biologique et nutrition ont été observés pour la première fois. Pas facile, avec des horaires irréguliers, de s’alimenter correctement. Brûlures d’estomac, flatulences, mais aussi prise de poids et problèmes métaboliques comme l’obésité et le diabète sont plus importants chez les travailleurs de nuit que dans la population générale. À cause de la composition des repas et des grignotages, bien entendu. Mais aussi parce que les rythmes biologiques de l’organisme ne sont pas respectés. La nuit, le système digestif fonctionne en effet au ralenti et supporte moins les excès. «Contrairement aux rongeurs, explique le Pr Jacques Philippe du Centre de nutrition et des troubles métaboliques de la Clinique Genolier, les humains ne sont pas programmés pour manger la nuit, mais la journée. Ne pas respecter ce rythme peut favoriser les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité.»
Réglées sur vingt-quatre heures, ces horloges à la fois circadienne et nycthémérale (lire encadré) influencent ainsi fortement notre manière d’absorber la nourriture et de la stocker. Certaines substances, comme la caféine, peuvent aussi agir sur les gènes impliqués dans l’amplitude de ces rythmes.
Rythme nycthéméral vs rythme circadien: quelle différence?
Le fonctionnement de tous les êtres vivants repose sur des rythmes biologiques, soit des variations périodiques de nature physiologique ou biochimique. Le plus connu est le rythme circadien, donné par une horloge interne réglée sur vingt-quatre heures. Ce rythme est dit endogène: il ne dépend pas de facteurs externes. Même plongés dans le noir, les humains respectent plus ou moins cette horloge interne qui fait environ des cycles de vingt-quatre heures. Un rythme nycthéméral est aussi une variation de vingt-quatre heures, mais qui dépend de facteurs externes, notamment la luminosité, la température ou la prise alimentaire.
Un chef et des collaborateurs
Comment fonctionnent les processus chronobiologiques qui lient alimentation et horloge biologique? «Le système est piloté par une région centrale qui se trouve dans l’hypothalamus, explique le Pr Philippe. L’alternance principale, comme chez tous les êtres vivants, c’est le rythme jour/nuit. Certains gènes et certaines hormones sont activés durant les périodes de veille et d’autres pendant celles de sommeil. Cette zone centrale, c’est le chef.» Mais elle n’est pas la seule impliquée dans les rythmes biologiques. Les cellules de nos différents organes ont également chacune leur propre horloge. «Ce sont les collaborateurs, image encore Jacques Philippe. Les horloges de chaque cellule sont synchronisées à la fois par le chef qui essaie de coordonner le tout, mais aussi et surtout par la prise alimentaire.» C’est via cette synchronisation que les hormones qui jouent un rôle clé dans l’alimentation, comme le cortisol pour la libération du sucre ou l’hormone de croissance pour la régénération des cellules, sont régulées dans l’organisme. Leur sécrétion est plus importante le matin que l’après-midi et le soir. «Nous sommes construits de cette manière, précise encore le spécialiste. Si on mange ou qu’on fait une activité physique le matin, nous dépensons plus d’énergie que si nous pratiquons la même activité le soir.»
Manger le jour
C’est pour cette raison que la chrononutrition – science qui cherche par des régimes parfois controversés (lire encadré) à lier rythme biologique et nutrition – propose de concentrer les prises alimentaires la journée sur une période allant de huit à douze heures. Des études, dont une dernière parue en février dernier dans Plos one biology, ont en effet montré qu’à prises de calories égales, les personnes qui mangent pendant une période de douze heures prennent moins de poids que celles qui mangent sur une période plus étendue. Les recommandations en matière de chrononutrition proposent ainsi de s’intéresser à ce que l’on mange mais aussi à l’heure à laquelle a lieu cette prise alimentaire. «Au niveau des rythmes biologiques, il est en effet mieux de privilégier les sucres et les graisses tôt dans la journée, confirme la diététicienne Sandrine Lasserre. Le soir, limiter les repas lourds pour ne pas surcharger notre système digestif est aussi bénéfique.» Peu de sucres et de féculents le soir et réserver donc les assiettes de pâtes, lasagnes, risotto ou pizza pour le repas de midi. En très résumé. «Lorsque les rythmes ne sont pas respectés de façon chronique, les problèmes peuvent ressembler à ceux d’un patient diabétique, ajoute la diététicienne. Le risque est de développer une forme de résistance à l’insuline, l’hormone qui gère l’assimilation des sucres.»
Autre règle essentielle selon la professionnelle membre de l’Antenne des diététiciens genevois (ADiGe): observer une pause de quatre à cinq heures entre les repas. «Ce jeûne de quelques heures est essentiel pour changer notre régulation hormonale, précise Sandrine Lasserre. On passe de l’insuline au glucagon, autrement dit du "je stocke" au "je déstocke". Sans cette alternance, l’organisme ne saurait pas comment changer de rythme.»
Les bénéfices de l’alimentation à temps limité (ATR)
Finalement, ce vers quoi pointe une nutrition qui respecte les horloges internes, c’est une alimentation à temps limité (ATR), dont plusieurs études montrent de nombreux bénéfices pour la santé. L’idée est de limiter la prise de nourriture à douze heures au maximum et de jeûner le reste du temps. Selon une étude qui vient de paraître dans le New England Journal of Medicine, les bienfaits sur la santé seraient conséquents: renouvellement cellulaire plus important, amélioration des facultés cognitives et allongement de la durée de vie chez certains animaux. «Ces études sont prometteuses, commente le Pr Philippe. Mais il faut rester prudent: elles sont réalisées sur des modèles animaux et le passage à l’homme est toujours complexe à évaluer. Par ailleurs, comme toujours avec les études de nutrition, il est difficile d’isoler un élément au milieu du mode de vie individuel.»
Peut-on pour autant se passer de regarder ce qu’il y a dans notre assiette en se fiant simplement au timing de la prise alimentaire? Non, répond Sandrine Lasserre: «Souvent, des personnes essaient de perdre du poids en sautant un repas. Or, il n’y a pas que le nombre de fois où l’on mange qui compte. La composition de l’assiette est tout aussi importante.» Ainsi, si on mange deux fois par jour mais beaucoup et de façon déséquilibrée, cela peut conduire à une prise de poids. Autre écueil d’un jeûne prolongé: un apport calorique insuffisant peut bloquer le processus de perte de poids, le corps déjà en manque et voulant se protéger ne déstockant pas davantage, ce qui peut aussi devenir problématique.
Comme souvent en matière de nutrition, il faut donc savoir faire la part des choses. Manger la journée et respecter les rythmes biologiques peut faire entrer l’organisme dans un cercle vertueux: si on mange moins riche et moins sucré le soir, on va mieux dormir, déstocker pendant la nuit et, de manière générale, mieux assimiler ce que l’on mange. «Mais inutile de regarder sa montre toute la journée, conclut Sandrine Lasserre. Si on a souvent des envies de sucre, c’est probablement parce que les repas sont mal équilibrés ou insuffisants. Pour choisir ce qui nous va au bon moment, il suffit souvent de s’écouter.»
Que penser des régimes basés sur la chrononutrition?
Nés en 1986 des travaux du médecin nutritionniste français Alain Delabos, les régimes basés sur la chrononutrition ont à nouveau le vent en poupe avec une série d’études pointant les bénéfices d’une alimentation à temps limité (lire article principal). Leur credo: adapter l’apport alimentaire aux moments de la journée où ils sont le plus utiles et se baser sur le «morphotype», soit le volume de certaines parties du corps comme le tour de hanche ou de poignet. Le bon aliment au bon moment selon votre morphologie: la formule fait évidemment rêver. Mais elle est toutefois trop simpliste. L’heure à laquelle on prend notre petit-déjeuner, voire même l’impasse faite sur lui, ne semble ainsi pas être forcément un problème. «L’activation du rythme "jour" débutera simplement plus tard, note le Pr Jacques Philippe du Centre de nutrition et des troubles métaboliques de la Clinique Genolier. Les études ne montrent pas de désavantage à une pratique différenciée de l’heure du petit-déjeuner. Cela montre la complexité de ces rythmes biologiques qui ne sont encore pas totalement compris.» Autre écueil, relevé par la diététicienne Sandrine Lasserre: le risque ne pas regarder ce qu’il y a dans l’assiette et du coup de limiter les prises alimentaires en oubliant de les diversifier et de les mesurer. Réserver le gras et les protéines au matin, manger de tout à midi et pas de sucre le soir, comme le prône la chrononutrition, pourrait avoir comme conséquence un apport calorique excessif au moment de la prise alimentaire. Comme tous les régimes, ceux prônés par les adeptes de la chrononutrition doivent donc être accueillis avec un regard critique et discutés avec un spécialiste avant de s’y plonger tête baissée.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 27/12/2020.