Les cures détox ne servent à rien
Même si elles ont lieu en petit comité, les fêtes de fin d’année sont l’occasion de se réunir pour partager un apéritif, des fins d’après-midi gourmands et surtout des repas copieux. Ces moments de convivialité sont plus que jamais bienvenus en ces temps d’incertitudes et de frustrations liées au coronavirus. Chocolat, bûche, biscuits de Noël, foie gras, Champagne, etc.: les tentations sont nombreuses. La multiplication des événements festifs, avec une abondance de mets particulièrement riches, souvent servis avec de l’alcool, est une porte ouverte aux excès. Cela peut se traduire, une fois janvier arrivé, par quelques kilos en plus sur la balance et une bonne dose de culpabilité. Pour y remédier, certains seront tentés de céder à la mode des cures détox (pour détoxification). Cure de thé vert, jus de fruits, légumes, jeûne, suppression de tel ou tel aliment pendant une période donnée, compléments alimentaires ou encore produits à base de plantes, etc. Les protocoles, plus ou moins bien établis, visent à nettoyer l’organisme, le débarrasser des indésirables toxines amenées par notre alimentation. Mais faut-il oui ou non s’adonner à de telles pratiques et pour quels bénéfices?
Le foie, un organe clé
Les spécialistes interrogés sont formels: rien ne prouve, sur le plan scientifique, l’intérêt de cures détox pour notre santé. Au mieux inutiles, elles pourraient même s’avérer délétères. Superflues, elles le sont en tout cas, car notre organisme est très bien équipé pour gérer les apports alimentaires. À ce titre, le foie est un organe clé, puisqu’il assure de nombreuses fonctions métaboliques et régulatrices. C’est lui en effet qui joue le rôle de grand nettoyeur ou de station d’épuration. Il gère ce qui est absorbé par le système digestif, y compris nos excès. Les substances nocives que l’on trouve notamment dans l’alcool ou les médicaments sont métabolisées par le foie et éliminées ensuite dans les selles ou l’urine. Les cellules hépatiques ont en effet le pouvoir de rendre hydrosolubles les toxines, permettant ainsi une élimination via l’urine. «Mais il n’y a pas besoin de stimuler davantage ce mécanisme pour qu’il fonctionne», souligne Pierre Maechler, professeur en physiologie cellulaire et métabolisme à l’Université de Genève. Le cas du cholestérol est, pour le spécialiste, emblématique de ce fonctionnement: «On a besoin d’environ 300 mg de cholestérol par jour pour nos fonctions cellulaires. Le foie s’assure que ces besoins sont couverts par l’alimentation, et gère la distribution dans le corps. L’excédent est transformé en acide biliaire, qui passe dans les intestins, avant d’être éliminé par les selles. En cas d’insuffisance, le foie fabrique lui-même du cholestérol».
Prenons maintenant l’exemple des lipides au sens large. Le foie sécrète de la bile pour en faciliter l’assimilation intestinale. Face à un apport excessif, nous stockons les graisses avec, au fil du temps, un risque de surcharge pondérale, les capacités de stockage étant pratiquement sans limite. Et les sucres ne sont pas en reste. Le surplus de glucose, issu de la digestion des sucres, peut être stocké sous forme de glycogène dans le foie et servir de réserve énergétique, notamment pour le cerveau et les muscles. Cependant, au-delà d’une certaine charge, le sucre se transforme en graisse, augmentant ainsi le tissu adipeux.
Surcharge plutôt que toxicité
Une alimentation trop riche en glucides et en lipides, sur le long terme, nuit à notre santé, «mais faire des excès sur quelques jours n’est pas dramatique, surtout dans un contexte festif. On devrait davantage se préoccuper d’une bonne hygiène de vie au quotidien», commente Nicoletta Bianchi, diététicienne au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Aussi, pour les spécialistes interrogés, c’est l’idée même de détox qui est problématique : «Graisses et sucres, mêmes consommés occasionnellement en excès, ne sont pas des toxiques. Ce terme est inapproprié», commente le Pr Maechler. «Ce n’est pas avec la dinde de Noël qu’on va s’intoxiquer», renchérit la diététicienne. En effet, il est plus question ici de surcharge alimentaire dans un contexte d’abondance. Lorsqu’on mange trop, notre corps émet des signaux, qu’il faut écouter. Ballonnements, reflux, digestion difficile, sentiment de réplétion, lourdeur digestive, maux de ventre… parfois, jusqu’à la «crise de foie», avec des maux de tête et des vomissements. Mais là aussi, c’est un abus de langage, rectifie le Pr Maechler : «Lorsqu’on mange trop, et trop gras, la vidange gastrique est retardée. Cela signifie que les aliments ont de la peine à quitter l’estomac et à poursuivre leur chemin vers l’intestin. Mais le foie n’est pas touché».
Pas de produit miracle
L’idée qu’il y ait un aliment miracle ou une formule magique pour nettoyer le corps est séduisante, mais elle n’est pas réaliste du point de vue de la science. Le thé vert, par exemple, est souvent cité dans les recettes détox. «Il a un effet diurétique, mais on ne devrait pas excessivement stimuler la diurèse, au risque de perdre trop de sels minéraux», prévient le Pr Maechler. La prise de suppléments n’est pas non plus nécessaire: «Aucun n’a montré d’effet bénéfique clair sur la détoxification. Il y a toujours eu de l’espoir que le Chardon Marie par exemple puisse avoir un effet bénéfique, mais sans résultat concluant à ce jour. L’artichaut est aussi souvent utilisé, sans qu’un effet clairement bénéfique pour le foie ait été démontré», note le Pr Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille à l’Université de Fribourg et spécialiste en médecine intégrative.
Pour se remettre des excès durant les fêtes, le mieux est encore de reprendre de bonnes habitudes alimentaires au quotidien, et surtout d’éviter les «on/off»: «Changer d’un coup, de manière drastique, notre alimentation en valorisant un aliment plutôt qu’un autre, crée un stress pour l’organisme. Le foie est un organe routinier, qui fonctionne selon le rythme circadien et qui a besoin d’énergie pour faire son travail», note le Pr Maechler. Pour équilibrer ses repas, on se fiera donc aux principes de la pyramide alimentaire suisse*, rappelle Nicoletta Bianchi: «Faire une large part aux fruits et légumes, limiter les aliments trop gras et trop sucrés, et privilégier des graisses de bonne qualité. Et puis, pour ne manquer de rien, mettre de la variété dans son assiette, en jouant sur la couleur des aliments». Enfin, pour un début d’année en pleine forme, ne pas oublier d’associer à tout cela une activité physique régulière.
L’alcool, très vite nocif pour la santé
«Avec pas moins de 100 maladies et accidents liés à sa consommation, et près de 1600 décès par année en Suisse, l’alcool est clairement un toxique», clarifie le Dr Thierry Favrod-Coune, spécialiste en médecine de l’addiction aux Hôpitaux universitaires de Genève. L’idée selon laquelle ce produit serait, à petites doses, bénéfique, est aujourd’hui scientifiquement balayée. L’alcool est très vite nocif pour la santé, il ne faudrait donc pas en consommer plus d’un verre par jour pour les femmes, deux pour les hommes, avec au moins deux jours par semaine sans alcool. Et pas plus de quatre verres par occasion, selon Addiction Suisse. Un verre standard correspondant à une bière (2.5 à 3 dl) ou un verre de vin (1 dl) ou un verre d’eau-de-vie (3 cl).
Après les fêtes, une «détox», soit une période sans alcool, est vivement recommandée. C’est ce que propose la campagne, «Dry January»**, soutenue par l’Office fédéral de la santé publique. «On sait que les gens se sentent mieux durant un moins sans alcool, et que plusieurs paramètres de santé s’améliorent, dont le sommeil et le poids. La santé digestive, cardiovasculaire, le risque de cancer, mais aussi la santé mentale en tirent bénéfice», souligne le spécialiste. Cette campagne est aussi une excellente occasion de réfléchir à sa consommation, et de la contrôler avant et après ce «challenge»!
**Plus d’informations sur : https://dryjanuary.ch/fr
____
_______
Paru dans Le Matin Dimanche le 24/01/2021.