Microbiote cutané: des milliards de microbes pour sauver votre peau
Que serait l’être humain sans les bactéries, champignons, levures et autres virus qui le colonisent depuis des millénaires? Dans l’intestin, l’estomac, mais aussi la bouche, les poumons ou le vagin, ce sont environ dix milliers de milliards de micro-organismes qui cohabitent, profitant des ressources de leur hôte mais lui rendant aussi de nombreux services. Si le nombre exponentiel de recherches menées ces quinze dernières années sur le microbiote intestinal a rendu populaires les bactéries tapies dans notre tube digestif, il est une flore dont on parle bien moins, alors que nous l’avons sous les yeux à longueur de journée: celle de notre peau. Le microbiote cutané commence à son tour à attirer l’attention des scientifiques, mais plus encore de l’industrie cosmétique. Si bien que les probiotiques se retrouvent non seulement dans les yaourts et les compléments alimentaires, mais aussi dans les crèmes pour le visage ou les laits pour le corps!
Diversité sous-estimée
Les microbiologistes n’ont pas attendu le XXIe siècle pour explorer les microbes à la surface du corps humain: la première évocation de la flore cutanée daterait des années 1680. Mais c’est l’essor considérable des outils de biologie moléculaire, dans les années 2000, qui a permis de faire un bond de géant dans la connaissance du microbiote. Les scientifiques n’étaient alors plus limités à l’observation des micro-organismes mais ont pu séquencer leur ADN. «On connaissait déjà les principales familles de bactéries présentes sur l’épiderme humain, mais la génomique a montré une diversité des souches bactériennes bien plus large que ce que l’on avait imaginé. Comme si vous partiez d’un arbre généalogique avec juste le nom de chaque famille et que vous accédiez ensuite aux noms de chacun de vos cousins, de leurs cousins et des cousins des cousins», illustre le Pr Didier Pittet, chef du Service de prévention et contrôle de l’infection des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En quelques années, ce sont ainsi plus de 300 sous-espèces de bactéries qui ont été mises au jour dans la flore cutanée humaine!
Les bactéries les plus représentées sur notre peau sont les staphylocoques, en particulier Staphylococcus epidermidis et Staphylococcus hominis, accompagnées également de Streptococcus mitis, Propionibacterium acnes et Corynebacterium spp. Ces souches, dites «commensales», sont présentes chez tous les individus et ne sont pas pathogènes. «Attention, il n’y a cependant pas de bonnes et de mauvaises bactéries, prévient le Pr Michel Gilliet, chef du Service de dermatologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). C’est toute la complexité de l’étude du microbiote: certaines sous-espèces de ces bactéries commensalespeuvent s’avérer néfastes, et une même souche de bactéries peut, selon les circonstances, produire des effets bénéfiques ou délétères.»
Le microbiote cutané n’est pas homogène sur l’ensemble de notre peau, dont la surface oscille entre 1,5 et 2 mètres carrés chez l’adulte. L’humidité, la température et la présence plus ou moins importante de lipides vont favoriser le développement de certaines souches. «On distingue trois environnements principaux: les zones grasses, les zones humides et les zones sèches, précise le Pr Michel Gilliet. Dans les zones grasses, ce sont les propionobactéries qui sont les plus présentes, alors que dans les zones humides on retrouve préférentiellement des corynébactéries et des staphylocoques. Dans les zones sèches, on observe plutôt une population mixte avec des ß-protéobactéries plus abondantes.»
Les bactéries commensales sont particulièrement stables au cours de la vie: «Elles disparaissent lorsqu’on se lave mais reviennent très rapidement», souligne le Pr Didier Pittet, qui rassure sur l’innocuité des solutions hydroalcooliques utilisées pour se désinfecter les mains. «L’alcool tue toutes les bactéries mais uniquement en surface. Le microbiote se reforme à l’identique, alors que les antiseptiques ne ciblent eux que certains micro-organismes et peuvent à long terme induire des résistances, un peu comme ce qu’il se passe avec les antibiotiques.»
Mutualisme
Longtemps, les bactéries des flores ont été considérées comme des colonisateurs de l’être humain, sans que l’on perçoive leur importance pour notre santé. Là encore, les recherches menées ces dernières années ont bouleversé la compréhension de cette relation et il est désormais admis que la coexistence humains-microbiote est un réel mutualisme. La flore cutanée jouerait notamment un rôle important dans la protection contre les pathogènes. «Notre épiderme est avant tout une barrière entre notre organisme et son environnement, explique le Pr Pittet. Il y a la barrière physique constituée par toutes les couches cellulaires de l’épiderme et une barrière microbiologique faite de ces différents micro-organismes présents sur la peau.» Les souches commensales nous protègent par différents moyens, à commencer par l’occupation de l’espace et la consommation des ressources disponibles. Faute de place et de nourriture, peu de chances que d’autres souches viennent coloniser la peau. Mais certaines bactériessont également capables de produire des substances, les bactériocines, qui agissent comme des antibiotiques sur d’autres bactéries opportunistes. «Le microbiote semble aussi interagir avec le système immunitaire cutané, complète le Pr Gilliet. Staphylococcus epidermidis par exemple, est nécessaire pour la production d’une molécule, l’interleukine 17, impliquée dans la réponse immunitaire contre les infections à Candida [des levures présentes sur la peau, ndlr] et certaines infections bactériennes. De même, le microbiote cutané participe à la production de molécules antimicrobiennes par les cellules de la peau et le système immunitaire local afin de lutter contre la prolifération des microbes en cas de plaies. Son rôle est ainsi très important dans la cicatrisation.»
Le microbiote pourrait-il aussi être à l’origine de certaines maladies de la peau? Certains déséquilibres de la flore cutanée, ou dysbioses, ont d’ores et déjà été associés avec des pathologies cutanées, mais sans qu’un lien de cause à effet ne soit toujours mis en évidence. On sait ainsi que les patients atteints d’acné sont porteurs de souches de Propionobacterium acnes différentes de celles présentes chez les autres personnes. Les recherches sont particulièrement dynamiques sur le rôle du microbiote cutané dans la dermatite atopique (eczéma). Il a été montré que le microbiote des patients atopiques présente une diversité réduite, favorable au développement de Staphylococcus aureus, bactérie associée aux poussées inflammatoires de la maladie. D’autres travaux ont aussi mis en évidence chez des patients diabétiques une diminution de la diversité microbienne cutanée qui pourrait être liée aux problèmes de cicatrisation observés chez ces patients. Agir sur le microbiote pourrait-il dans ce cas être une option thérapeutique? «C’est bien sûr une piste de recherche mais pour l’heure il faut prendre le temps de bien comprendre les mécanismes de base avant de tirer des conclusions hâtives», tempère le Pr Michel Gilliet.
Pourtant, les produits contenant des probiotiques (micro-organismes vivants) sont de plus en plus nombreux au rayon cosmétique et rivalisent de promesses. Une tendance qui relève plus du marketing que de la science, tranchent les experts rencontrés. Pour l’heure, il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques pour valider l’intérêt réel de tels produits, soulignent-ils.
A la source des odeurs, les bactéries
Transpirer est un processus biologique normal et nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme. Cela n’en reste pas moins un vrai problème pour ceux dont la transpiration sent fort. Le Pr Jacques Schrenzel, responsable du Laboratoire de bactériologie des HUG, rappelle que la sueur en elle-même est totalement inodore: «Ce sont les bactéries présentes sur les aisselles qui, en se nourrissant de certaines molécules présentes dans la sueur, vont produire des résidus volatils qui eux sentent». Un processus renforcé en cas de stress, avec la production d’une odeur encore plus forte. Anti-perspirants, déodorants, parfums: autant de moyens pour tenter de masquer son odeur corporelle. Mais le mieux ne serait-il pas l’ennemi du bien? «Tous les produits n’ont pas les mêmes effets, mais en modifiant le micro-environnement cutané, ils peuvent provoquer un déséquilibre de la flore présente, relève le Pr Schrenzel. La tendance évolue cependant et on explore maintenant la possibilité de favoriser les "bonnes" bactéries au lieu de vouloir toutes les éliminer». Reste encore à déterminer par quel processus moduler efficacement la flore bactérienne des aisselles. Sur le modèle de la transplantation de microbiote intestinal, quelques scientifiques ont tenté des «greffes» de bactéries cutanées. «La transplantation de microbiote des aisselles peut sembler séduisante sur le principe, mais la vraie question est la pérennité de ce genre d’approche», prévient le Pr Schrenzel. Par ailleurs, les odeurs corporelles sont influencées par bien des facteurs, à commencer par les vêtements: «Selon le type de fibres, naturelles ou synthétiques, mais aussi le type de machines à laver, voire le cycle de lavage, certaines souches de bactéries ou de levures peuvent proliférer dans les vêtements, et elles-mêmes produire des odeurs», rappelle le spécialiste. Les odeurs de transpiration ne semblent donc pas près de disparaître.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 03/03/2019.