Les probiotiques n’améliorent pas forcément la santé

Dernière mise à jour 25/02/16 | Article
Les probiotiques n’améliorent pas forcément la santé
La population microbienne de nos intestins pourrait être la clé de nombreuses maladies. Mais les probiotiques qu’on trouve sur le marché sont-ils bien utiles?

De quoi on parle

Le microbiote intestinal est aujourd’hui au centre de nombreuses recherches scientifiques et médicales. Du côté du grand public, améliorer sa santé, voire éviter certaines maladies en prenant soin de sa flore intestinale, représente un espoir. Un nouveau marché s’est rapidement organisé. Appelés probiotiques, les compléments alimentaires censés agir sur les bactéries intestinales sont de plus en plus nombreux. Leur efficacité fait pourtant débat.

Depuis le début des années 2000, les milliards de bactéries qui peuplent nos intestins sont devenues un sujet d’intérêt majeur pour les scientifiques, le grand public, mais aussi les industriels. Appelé microbiote, cet ensemble de microbes suscite de nombreux espoirs tant il semble impliqué dans des pathologies variées. Plusieurs laboratoires, petits ou grands, misent sur le développement de probiotiques, qui seraient capables de traiter les déséquilibres de la flore intestinale. De nombreux produits sont déjà disponibles. Pourtant, à ce jour, aucune allégation santé n’est reconnue en Europe pour ces compléments alimentaires.

A chaque individu son microbiote

Avant que certains travaux scientifiques, largement médiatisés, ne remettent en lumière le microbiote, nombreux étaient ceux qui avaient même oublié l’existence de la flore intestinale. C’est le développement des outils de séquençage du génome qui a relancé les recherches en permettant d’établir des cartographies de la flore intestinale. «Le projet européen MetaHIT a permis en quelques années d’identifier près de 10 millions de gènes bactériens», précise Joël Doré, directeur de recherche à l’Institut national français de recherche agronomique (INRA). En comparant les microbiotes des 2000 volontaires du projet, les scientifiques ont pu mettre en évidence de grandes variabilités entre les individus.

Depuis, les études sur les bactéries intestinales s’accumulent. De la dépression aux allergies en passant par l’obésité, on ne compte plus les pathologies qui ont été associées à des déséquilibres du microbiote. «Des associations fortes ont été mises en évidence pour certaines maladies liées au système immunitaire, sur des modèles animaux ou parfois chez des patients, commente le professeur Jacques Schrenzel, responsable du laboratoire de bactériologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Mais il faut rester modeste.»

Microbiote intestinal et Clostridium difficile

Il ne suffit pas en effet d’associer la survenue d’une pathologie à la présence ou à l’absence d’une souche bactérienne pour établir un lien de cause à effet. «On a de très beaux résultats chez l’animal, relève Michel Maillard, médecin associé au service de gastro-entérologie et hépatologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais on constate qu’il est difficile de passer à l’étape suivante pour valider ces hypothèses et décortiquer les mécanismes qui mènent aux pathologies.»

Puisque tout est question d’équilibre, suffirait-il de repérer les souches trop ou trop peu présentes pour résoudre le problème? C’est en tout cas ce qu’imaginent ceux qui n’hésitent plus à faire séquencer leur flore intestinale. Certaines sociétés proposent, à partir d’un échantillon de selles, de vous fournir la cartographie complète de votre microbiote. «Certains patients arrivent en consultation avec une centaine de pages de résultats en nous demandant de leur donner les souches qui manquent, raconte Michel Maillard. On ne peut que les décevoir, car ça ne marche pas comme ça!»

Microbiote et oncologie

Les oncologues s’intéressent de près au microbiote pour ses interactions avec les traitements anticancéreux. «Une équipe de Paris a montré que les bactéries intestinales peuvent moduler l’efficacité de certaines thérapies», explique Jacques Schrenzel. Or les chimiothérapies s’accompagnent de traitements antibiotiques, connus pour perturber le microbiote. «On peut imaginer proposer aux patients une conservation du microbiote avant de commencer un traitement, commente le spécialiste. Cela permettrait des autotransplantations pour restaurer la flore initiale.» La composition du microbiote pourrait aussi expliquer, en partie du moins, pourquoi certains patients répondent aux immunothérapies et d’autres pas. Mieux comprendre ces interactions pourrait permettre de personnaliser les choix thérapeutiques.

Flou en Europe

Du côté des industriels pourtant, les probiotiques –bactéries et levures susceptibles d’avoir un effet bénéfique sur la santé– ont le vent en poupe. Des centaines de cocktails de souches bactériennes lyophilisées ont fleuri dans le commerce ces dernières années. La promesse: un comprimé pour prendre soin de ce microbiote malmené par le stress, le manque de sommeil ou une alimentation déséquilibrée. Mais le bénéfice de ces produits divise. «On ne prescrit pas de probiotiques, si ce n’est certaines souches très particulières dans un petit nombre d’indications, précise Michel Maillard. Il manque encore des preuves d’efficacité clinique.»

Pour Philippe Meuwly, PDG de Pharmalp, société suisse qui développe des probiotiques, il ne faut pas mettre tous les produits dans le même panier. «La sélection des souches est primordiale. Et il y a de plus en plus d’études menées chez l’homme qui démontrent que certaines augmentent, par exemple, la résistance aux infections respiratoires.» Une revue de la Fondation Cochrane de 2015 confirmait en effet les bénéfices de certains probiotiques pour renforcer l’immunité.

Pourtant en Europe, contrairement à certains pays d’Amérique du Nord, les probiotiques ne peuvent pas afficher d’allégation santé. «Depuis 2008, il y a un flou en Europe autour de ces produits, et le consommateur est face à lui-même, déplore Joël Doré. Il faut que l’EFSA se dote à nouveau de mécanismes efficaces pour trancher.» Pour Jacques Schrenzel les effectifs de ces travaux doivent augmenter: «Il y a tellement de variabilité entre les individus que pour s’affranchir de ce biais, il faut maintenant mener des études de cohortes. La recherche doit se faire comme pour les médicaments.»

L’après-transplantation fécale

Encore taboue il y a quelques années, la transplantation fécale n’en finit plus de faire parler d’elle. Un succès justifié par les résultats plus que probants obtenus dans le traitement des infections récidivantes à Clostridium difficile (une bactérie très pathogène), qui jusqu’alors laissaient patients et médecins dans une impasse thérapeutique (voir infographie). Pour autant la méthode n’est pas sans risque. Le cas d’une mère ayant grossi de 10 kilos après avoir reçu le microbiote de sa fille obèse a fait sensation. «Nous prenons beaucoup de précautions, explique Michel Maillard, médecin associé au CHUV. Les recherches d’agents pathogènes sont très poussées pour protéger au maximum les receveurs. Il est notamment très important de ne pas transmettre des bactéries résistantes aux antibiotiques.» Par ailleurs, il reste toujours difficile pour les patients de parler du sujet avec leurs proches qui restent pourtant les principaux donneurs. «Il faut voir cette méthode comme une étape, une preuve de concept, relève Michel Maillard. L’objectif est maintenant de pouvoir proposer aux patients des souches cultivées en laboratoire plutôt qu’un microbiote entier.» Une approche probiotique que certaines équipes européennes testent déjà. Pour lutter contre C. difficile, les patients reçoivent des bactéries de la même espèce mais inoffensives. L’objectif est de générer une compétition et d’éliminer ainsi les bactéries pathogènes

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