Les micro-organismes et nous: qui est en charge?
En juin 2012, le Scientific American consacrait sa couverture et un article central au microbiote qui pourrait nous gouverner à notre insu.1 L’auteur relevait le déséquilibre existant entre nos propres cellules et les cellules bactériennes qui nous colonisent (rapport de 1/10) et entre les gènes transmis par nos parents et ceux de cette flore commensale (rapport de 1/150). Elle se posait la question: «who’s in control?». La découverte d’interactions naguère insoupçonnées et l’influence déterminante que les bactéries qui nous peuplent ont, notamment sur le fonctionnement de notre système immunitaire, suscitent en effet le débat.
Autre fait interpellant, les bactéries nous précèdent de plusieurs milliards d’années. Sur une horloge de 24 heures représentant l’évolution de notre planète, l’humain apparaît à 23 heures et 59 minutes (il y a 3 millions d’années) alors que les bactéries sont présentes depuis 6 à 7 heures du matin (il y a plus de 3 milliards d’années). Les mutations et les échanges d’éléments génétiques mobiles qui les font évoluer depuis cette très longue période de temps surviennent indépendamment de toute interaction avec nous et leur confèrent une énorme capacité d’adaptation. Récemment, ceci fut illustré par la découverte de bactéries résistant à de multiples antibiotiques, y compris à ceux de dernière génération tel le linézolide, dans une grotte formée il y a plus de 4 millions d’années, imperméable aux eaux de surface et interdite au public dès sa découverte en 1986.2
Ces aspects vertigineux de notre relation aux micro-organismes sont encore amplifiés si l’on considère les bactériophages. Ces virus, qui s’attaquent aux bactéries, intéressaient l’industrie pharmaceutique avant l’envol des antibiotiques. Ils sont encore utilisés pour le traitement de certaines infections en ex-URSS et connaissent actuellement un regain d’intérêt au vu de l’extension des résistances bactériennes aux antibiotiques. Selon Vincent Fischetti de l’Université Rockefeller à New York,3 ils constituent les entités biologiques les plus répandues sur la Terre et sont présents sur tout ce que nous touchons, mangeons ou buvons et partout dans notre corps. Ils infectent et tuent continuellement les bactéries, mais leur transmettent également des gènes favorables au cours d’un processus dynamique titanesque où les deux partenaires ont chacun besoin de l’autre pour survivre. Pour Fischetti, les bactériophages, qui sont dix fois plus nombreux que les bactéries, ont le contrôle de la planète.
Ces avancées scientifiques ouvrent des perspectives vers d’éventuels progrès thérapeutiques. Elles génèrent aussi des questions philosophiques sur notre rôle et notre influence. Qui est en charge? Les micro-organismes ou nous ?
Source
Revue médicale suisse, N° 357, octobre 2012
Bibliographie
1. Ackerman J. The ultimate social network. Sci Am 2012;306:36-43. [Medline]
2. Buhllar K, Waglechner N, Pawlowski A, et al. Antibiotic resistance is prevalent in an isolated cave microbiome.PLoS One 2012;7:e34953.
3. Borrell B. The phage factor, interview with Vincent Fischetti. Sci Am 2012;307:68-71. [Medline]