Les bactéries mises à nu
Des échantillons de selles conservés à -80 degrés. Un contenu de congélateur peu ragoûtant mais porteur de nombreux espoirs de progrès médical. Bienvenue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) où l’équipe du professeur Schrenzel travaille sur le microbiote, l’énorme population de bactéries avec laquelle nous vivons.
L’activité qui occupe ces chercheurs est la métagénomique, l’étude du code génétique d’ensembles d’organismes vivant dans un milieu donné (par opposition à l’étude du code génétique d’une seule espèce). «C’est une nouvelle branche, explique le professeur Schrenzel. Il n’y a pas encore de maladie qui soit définie par une composition bactérienne particulière et il y a encore peu de traitements qui exploitent cette voie. Mais en accédant à ces informations, nous ouvrons de nouveaux livres dont le contenu aura certainement de la valeur dans le futur.»
Pour avancer dans la compréhension de ce milieu qui nous habite, les chercheurs en séquencent l’ADN. Au départ, il y a un prélèvement de salive, de peau, de selles ou de sécrétions. «Les bactéries colonisent la peau et toutes les muqueuses (yeux, bouche, nez, intestins et organes génitaux)», explique le biologiste Vladimir Lazarevic. La nature de l’échantillon étudié dépendra donc de la question à laquelle on souhaite répondre. Il fera ensuite l’objet d’une comparaison, soit entre individus sains et malades, soit chez une même personne à différents moments.
«Nous avons ainsi observé la flore de la bouche avant un traitement par antibiotiques, juste après celui-ci et enfin quelques semaines plus tard, pour observer comment elle se rétablit», poursuit le chercheur. Autre domaine en cours d’étude à Genève, complète le professeur Schrenzel, les infections chez les patients sous respiration artificielle. Il s’agit de déterminer si certaines personnes ont un risque accru de développer une infection respiratoire (appelée pneumonie associée au ventilateur). Pour ce faire, les chercheurs observent la composition en bactéries des sécrétions respiratoires qu’ils produisent chaque jour sous ventilation.
Quand tous les échantillons nécessaires ont été rassemblés, ils sont séquencés: on décrypte le code génétique des bactéries qui les composent. Mais avant de les envoyer à une société spécialisée, des manœuvres doivent être faites au laboratoire, une phase d’extraction et de purification. Son but? Obtenir une solution dans laquelle ne reste que de l’ADN.
L’ADN doit d’abord être extrait des bactéries. La mécanique est appelée à la rescousse: on introduit de petites billes avec l’échantillon dans un tube et on agite le tout pendant quelques minutes pour casser les cellules bactériennes. Après centrifugation, on obtient une solution d’ADN qu’il faut encore purifier avant le séquençage. Par précaution, les instruments et le matériel utilisés ne sont employés que pour ce type de recherche, de peur que de l’ADN venu d’une autre expérience ne vienne contaminer l’échantillon.
Dernière étape: vérifier que l’échantillon obtenu est suffisamment pur. Pour ce faire, on dépose quelques microlitres de la solution dans un spectrophotomètre. Celui-ci mesure à la fois la concentration d’ADN et sa pureté pour savoir si toutes les autres substances ont bien été éliminées.
Si le test est réussi, les petits tubes peuvent partir à Plan-les-Ouates chez Fasteris pour y être séquencés. Là-bas, on fractionnera l’ADN en morceaux d’environ 500 nucléotides (les lettres qui peuvent composer l’ADN: A, T, C ou G) que l’on décodera en parallèle.
Une fois que les échantillons ont été réunis, il faut compter un jour pour l’extraction et la purification d’une cinquantaine d’échantillons et une semaine de séquençage. L’analyse des résultats de ce dernier peut par contre occuper les chercheurs plusieurs mois.
Des millions de lettres, «un fichier brut», c’est ce que reçoivent les chercheurs après le séquençage. Et maintenant? Première chose, explique Vladimir Lazarevic, éliminer les séquences de mauvaise qualité. Place ensuite à l’identification. On compare les séquences retenues avec des bases de données, dans le but d’associer chaque séquence à une espèce.
On obtient alors un bilan, un profil bactérien. On sait désormais que, dans l’échantillon examiné, il y a tant de pour cent de bactéries A, tant de pour cent de bactéries B et de bactéries C, etc. En comparant les profils de différents échantillons, les chercheurs peuvent donc mettre en évidence des contrastes qui les aideront dans la compréhension de phénomènes comme l’obésité ou les infections respiratoires.