La drogue aujourd’hui
Psychotropes et drogues de synthèse
Les psychotropes sont des substances qui agissent sur le psychisme en induisant des modifications de sensations, de perceptions, de l’humeur ou de la conscience. Ils ont pour particularité d’activer le «système de récompense», ce qui contribue en grande partie à générer des dépendances. L’organisation mondiale de la santé (OMS) distingue neuf classes de substances psychotropes différentes: les alcools, les opioïdes (opium, héroïne), les cannabinoïdes (cannabis, haschich), les sédatifs/hypnotiques (tranquillisants), la cocaïne, les stimulants (amphétamines et caféine incluse), les hallucinogènes (LSD, champignons), le tabac et les solvants volatils (colle, Tipp-ex, vernie à ongle, poppers). Selon le rapport annuel 2012 de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies, le cannabis reste la substance illégale la plus consommée avec 80,5 millions de personnes touchées durant une vie. Viennent ensuite la cocaïne avec 15,5 millions de personnes touchées, les amphétamines avec 13 millions et l’ecstasy avec 11, 5 millions. Alors que le nombre de consultations pour abus ou mauvaise utilisation de psychotrope a augmenté de 98,4% de 2004 à 2009, celui des substances illicites est resté stable. Cette augmentation s’explique par le fait qu’un vide juridique plane autour de quantité de substances appelées «drogue de synthèse» qui demeurent, à ce jour, encore non-identifiées.
Les drogues de synthèse: Catch me if you can
Pour améliorer de façon ciblée les ivresses «rêvées» mais surtout pour éviter de tomber dans l’illégalité, des chimistes modifient la structure de substances existantes dans des laboratoires clandestins. Ils s’emparent d’une substance illégale et, afin de contourner la loi, modifient une ou plusieurs de ses composantes moléculaires. C’est ainsi que suite à l’interdiction successive par l’OMS de la «drogue de l’amour» (MDA), puis de l’«ecstasy» (MDMA), «Eve» (MDEA) a fait son apparition sur le marché. Demain, ce ne sera plus «Eve», mais une substance aux effets similaires et aux propriétés chimiques quelque peu modifiées. Le développement de ces nouvelles drogues de synthèse complique évidemment l’analyse de leurs effets toxiques. Nous passons en revue quelques unes d’entres elles:
La méphédrone
La méphédrone est un stimulant synthétique qui induit des sensations euphorisantes et d’empathie envers autrui (empathogène). Elle agit aussi comme coupe faim (anorexigène). Proche de la cathinone, substance provenant des feuilles d’un arbre d’Afrique orientale, la méphédrone est un dérivé de la phényléthylamine, molécule également utilisée pour la production d’amphétamines et d’ecstasy.
Ses consommateurs lui donne plusieurs noms, les plus connus étant meow, MCAT, méphe, bubble, miaou miaou, drone, bounce, subcoca ou encore sunshin. Jusqu’en 2010, la méphédrone bénéficiait d’un vide juridique ce qui permettait à certains de la vendre librement sur la toile. Ses effets sur la santé sont similaires à ceux induits par les amphétamines et l’ecstasy. Des troubles du mouvement, telles que des contractions involontaires (réactions dystoniques), des insuffisances rénales ainsi que des décès sont associées à sa consommation.
Le cannabis synthétique
Le cannabis synthétique est une substance chimique qui reproduit les effets du THC, le principe actif du cannabis. Parce que sa structure moléculaire diffère de celle du cannabis naturel, sa consommation n’est pas toujours détectable dans les urines. Le cannabis de synthèse est le plus souvent vendu sous forme de mélange de plantes aromatiques séchées destinées à parfumer l’intérieur. Les herbes contenues dans ce produit sont aspergées de cannabis de synthèse. Ses effets sont cependant plus puissants, plus addictifs et surtout plus dangereux que ceux du cannabis naturel. De plus, contrairement au cannabis naturel, le cannabis de synthèse ne contient pas de cannabidiol, substance reconnue pour ses propriétés antipsychotiques. Ses consommateurs lui donne plusieurs noms, K2, Spice, Aroma, Mr Smiley, Zohai, Eclipse, Black Mama, Blaze ou encore Dream étant les plus connus.
La desomorphine
Synthétisée aux Etats-Unis en 1932, la désomorphine était initialement considérée comme une alternative possible à la morphine, vu qu’elle induisait moins de nausées et de problèmes respiratoires qu’une dose équivalente de morphine. Mais, s’apercevant qu’elle engendrait une dépendance bien plus forte que la morphine, elle n’a pas été développée à des fins thérapeutiques. Aujourd’hui, elle est vendue comme un substitut bon marché de l’héroïne, son prix lui étant estimé vingt fois inférieur. Appelé par ses consommateurs, Krokodil, la desomorphine est produite artisanalement avec de la codéine comme substance de base, de l’iode, des solvants et le phosphore rouge obtenu à partir des allumettes. Son administration endommage les tissus à l’endroit des injections, leur donnant un aspect verdâtre et rugueux qui ressemble à la peau d’un crocodile. Cette pratique entraîne par la suite des abcès cutanés, une inflammation des veines (thrombophlébites extensives), de la gangrène (gangrène nécrosante et destruction osseuse) puis, suivant les cas, l’amputation du membre en question. Sa diffusion actuelle concernerait essentiellement la Russie, mais des rumeurs courent sur son arrivée en Europe occidentale.
Coupage des substances illicites
Ce n’est pas nouveaux, la consommation de psychotrope induits des dommages tantôt sur le plan médical que sur le plan social. De plus, certains produits de coupage augmentent la dangerosité de ces substances. Les drogues vendues dans les rues ne sont quasiment jamais pures, mais coupées, c’est-à-dire camouflées avec d’autres substances en vue de mimer les effets ou la texture de la drogue supposément vendue, ou encore afin d’augmenter son volume et, par conséquent, son prix.
Selon les données de la police, la cocaïne achetée dans les rues présente une pureté de 5 à 30%. Près de la moitié des cocaïnes saisies en France en 2007 contenaient 20 à 70% de phénacétine, une substance principalement utilisée pour ses vertus analgésiques. En 2009, 80% des comprimés d’ecstasy analysés en Europe n’en étaient pas. Ils contenaient en revanche d’autre substances comme de la pipérazine, substance utilisée contre les parasites, du MCPP, une drogue de synthèse semblable à celle de l’ecstasy mais dont les effets sont moindre et surtout plus nocifs, du LSD et du 2-CB, deux substances hallucinogènes ainsi que de la kétamine, un analgésique puissant utilisé principalement en médecine vétérinaire et dont les interactions avec l’ecstasy peuvent être graves. La résine de cannabis (haschich) a coutume d’être coupée avec des produits comme le henné, le cirage ou encore du pneu. L’herbe de cannabis (marijuana) est souvent alourdie à des fins pécuniaires avec du verre pilé, des billes de verre, du sable ou de la fécule de maïs. Quant à l’héroïne, elle est le plus fréquemment coupée avec du paracétamol, de la caféine, du plâtre, du GHB, surtout connu sous le nom de «drogue du violeur» et parfois même de la Strychnine, un poison qui peut, à forte dose, être mortel.
Un phénomène qui augmente
Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces substances soient consommées au vu de leurs effets sur le système de la récompense, de la pression des pairs et du contexte social d’utilisation. Bien que de nombreux dommages médicaux et sociaux en résultent, la consommation récréative de psychotrope est un phénomène qui devient de moins en moins marginal. Pour contourner la loi, de nouvelles substances sont synthétisées presque chaque jour avec leurs lots d’inconnues et de nouvelles toxicités. Leur accessibilité engendre de nouvelles habitudes de consommation : ce n’est plus une substance délimitée qui est ingurgitée, mais plusieurs. De nombreux problèmes d’interactions entre substances peuvent résulter de cette pratique. En cas d’intoxication, le Tox-Zentrum à Zurich est joignable à toute heure.
Référence
Adapté de «Drogues récréatives: le plaisir des complications?», Drs. Florence Joye, Vincent Frochaux et Florence Selz Amaudruz, Département des urgences CHCVs, Hôpital de Sion; Nicolas Donzé, Service de chimie clinique et toxicologie, Hôpital du Valais (RSV); Dr Marc Niquille, Service des urgences, HUG, in Revue médicale suisse 2013:9:1454-60, en collaboration avec les auteurs.