Cigarettes: interdire toutes les publicités sur les paquets a-t-il une utilité?
Pour des raisons qui restent encore à comprendre, l’Australie a engagé un véritable bras de fer contre le tabagisme et donc contre les multinationales du tabac. En août 2012, elle se prononçait ainsi en faveur des paquets de cigarettes dits «neutres» au motif qu’ils sont dépouillés de toute forme d’incitations publicitaires à la consommation. Ces mêmes paquets peuvent aussi comporter des illustrations témoignant des méfaits sanitaires du tabac.
La Haute Cour australienne avait alors débouté les multinationales du tabac qui contestaient cette mesure selon eux discriminatoire. Pour la Haute Cour, les logos publicitaires ne pouvaient, en droit, être considérés comme du ressort de la propriété intellectuelle. La Ministre australienne de la justice avait quant à elle qualifié la décision d’historique pour la lutte antitabac dans le monde.
Victoire australienne contre les lobbies du tabac
De nombreux observateurs y avaient également vu la victoire importante d’un gouvernement contre les puissants lobbies du tabac. En pratique, la loi dispose que tous les paquets de cigarettes soient de couleur terne, vert-olive, avec interdiction de tous les logos commerciaux. Les paquets ne se distingueraient que par leur marque imprimée dans une police et une taille standards.
Cette mesure est entrée en application en décembre dernier. Quelle sont, en pratique, ses retombées? Une étude qui vient d’être publiée dans le BMJ Open1 apporte les premiers éléments de réponse; des éléments qui vont être pris en compte par les responsables sanitaires des pays européens (la France notamment) qui envisagent de suivre l’exemple de l’Australie.
La neutralité et le sevrage
Le travail a été mené par un groupe de quatre chercheurs australiens dirigés par Melanie A Wakefield (Centre for Behavioural Research in Cancer, Cancer Council Victoria, Carlton, Victoria). Il visait à déterminer l’effet concret des paquets de cigarettes neutres. Permettent-ils de freiner la consommation et si oui dans quelles proportions? Conduisent-ils au sevrage? Les chercheurs ont recruté 536 fumeurs de cigarettes parmi lesquels environ les trois-quarts fumaient un paquet neutres et un quart un paquet de marque. L’enquête a porté sur différents critères concernant notamment les habitudes de consommation, les statuts socio-économiques, la fréquence des pensées sur les méfaits du tabagisme et sur les intentions de sevrage.
Les chercheurs constatent, au final, des aspects positifs et encourageants. Par rapport aux fumeurs de paquets de cigarette de marque, les fumeurs de paquets neutres apparaissent ainsi comme plus aptes à réduite/abandonner leur consommation ou à en percevoir les méfaits sanitaires. Il ne s’agit toutefois là que d’une étude dont les résultats ne peuvent pas être largement extrapolés. L’étude n’a concerné que des consommateurs adultes et n’a pas été approfondie: les intentions exprimées seront-elles ou non suivies d’effet? Et surtout: qu’en est-il chez les consommateurs les plus jeunes?
Les cibles privilégiées des multinationales du tabac
La tendance observée vient confirmer un autre travail publié en septembre 2012 par la revue BioMed Central Public Health2. Ce travail avait été mené au Brésil, un pays qui a pris des mesures contre les publicités incitant à la consommation de tabac. Il confirme la moindre attractivité (notamment pour les jeunes femmes) des paquets de cigarettes neutres, par rapport aux paquets de marque. Les jeunes femmes (et les jeunes d’une manière générale) sont des cibles privilégiée des fabricants; des cibles qui apparaissent comme particulièrement sensibles aux paquets colorés, aux arômes de fruits, ou à des produits du type «slim», «light» ou «ultralight».
Ce travail brésilien a été dirigé par Christine M. White (School of Public Health & Health Systems, University of Waterloo, Canada) et comportant des chercheurs travaillant aux Etats-Unis et au Mexique). On a proposé en ligne à 640 jeunes femmes brésiliennes (âgées de 16 à 26 ans) de recevoir (sans réelle intention de les envoyer) soit un paquet neutre (comportant néanmoins le nom de la marque) soit un paquet de marque, au choix. Il s’agissait là de vérifier si les cigarettes présentées dans un emballage neutre avaient le même attrait pour ces jeunes consommatrices. Au final trois fois plus de femmes préfèrent …. les paquets de marque aux paquets neutres. Le Dr David Hammond (University of Waterloo) explique que les femmes perçoivent les paquets de marque comme étant plus attirants, plus élégants et plus sophistiqués.
Des cigarettes plus «goûteuses»
Les conditionnements commerciaux traditionnels évoquent des cigarettes plus «goûteuses» et plus douces. Ce qui est précisément la démonstration de l’efficacité des recherches et des résultats publicitaires des fabricants. Et c’est ce qui est également la cible de toutes les initiatives anti-tabac. Supprimer toute marque ou «visuel» des paquets, réduit donc effectivement une partie de leur attrait nocif.
C’est dans ce contexte que s’inscrit une courte publication du New England Journal of Medicine3. Elle relate le contentieux juridique existant aux Etats-Unis entre la R.J. Reynolds Tobacco Company et la Food and Drug Administration (FDA) au sujet de mises en garde sanitaires illustrées sur les paquets de cigarettes. La question est de savoir si cette disposition viole ou non le premier amendement en imposant aux entreprises du tabac de financer les messages. Après une première décision de justice favorable aux fabricants, le ministère de la Justice a annoncé que le gouvernement américain ne ferait pas appel de cette décision devant la Cour suprême.
Pourquoi le gouvernement américain a-t-il reculé?
«La décision de ne pas faire appel indique clairement que les efforts pour limiter le discours commercial aux Etats-Unis aujourd'hui fait face à de fortes contraintes constitutionnelles et politiques, observent les auteurs Ronald Bayer, David Johns et James Colgrove. Les tribunaux sont de plus en plus disposés à accorder des droits constitutionnels aux sociétés et sont particulièrement réticents à limiter les formes de discours commercial.» Le recul du gouvernement américain tient pour une bonne partie au fait qu’il est difficile de plaider l’efficacité sanitaire des messages publicitaires exposant les dangers de la consommation de tabac.
«Les études publiées montrent que les avertissements graphiques évoquent les réactions émotionnelles et cognitives souhaitées, écrivent les signataires de la communication au New England Journal of Medicine. Mais la preuve est moins définitive sur la question de savoir si elles réduisent la prévalence du tabagisme.» L’étape suivante de ce combat est désormais connue: le paquet «neutre».
1 Un résumé (en anglais) de cette étude est disponible ici.
2 Cette publication (en anglais) est disponible ici.
3 Cette publication (en anglais) est disponible ici.
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Chaque année en Suisse, on dénombre environ 4100 nouveaux cas de cancer du poumon (carcinome bronchique), ce qui représente 10 % de toutes les maladies cancéreuses. Le cancer du poumon touche plus souvent les hommes (62 %) que les femmes (38 %). C’est le deuxième cancer le plus fréquent chez l’homme, et le troisième chez la femme. C’est aussi le plus meurtrier, avec 3100 décès par an.