Quand jouer devient la priorité

Dernière mise à jour 30/11/23 | Article
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Jeux vidéo, jeux d’argent, réseaux sociaux… Des activités de plus en plus accessibles sur le Net qui, pratiquées sur la durée, peuvent engendrer une addiction, non sans conséquence sur la vie sociale et la santé.

Plus de huit jeunes de 15 ans sur dix consultent tous les jours les réseaux sociaux et 7% des 11-15 ans en auraient même un usage excessif. Globalement, près de 3% de la population suisse seraient dépendants au jeu, de hasard ou vidéo. Quand peut-on parler d’addiction? Lorsque le besoin de jouer ou de consulter un réseau social devient difficilement contrôlable et que cette activité passe avant toutes les autres. La notion de priorité est faussée et le contrôle très réduit.

De graves conséquences

Une maladie officiellement reconnue

Depuis 2019, les «troubles dus à des conduites addictives» ont été reconnus comme un trouble psychique et inclus dans la classification internationale des maladies (CIM-11) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les troubles liés à l’usage des jeux vidéo et des jeux de hasard et d’argent y sont mentionnés. «Cette reconnaissance est une avancée pour tous, se réjouit le Pr Yasser Khazaal du CHUV. Elle ouvre des droits aux patients, qui voient qu’ils ne sont pas les seuls à souffrir. Et, côté médecins, des protocoles de recherche unifiés, avec des données harmonisées, peuvent être mis en place. On avance sur les plans de la connaissance du trouble, des traitements, de l’épidémiologie ou encore de la santé publique.»

«Ce qui devrait être un loisir passe alors avant une sortie entre amis, un repas de famille ou une obligation professionnelle, ce qui peut devenir problématique», illustre le Pr Yasser Khazaal, psychiatre au Service de médecine des addictions du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Souvent, une personne souffrant d’une addiction comportementale rencontre des difficultés au travail ou à l’école. Les devoirs ne sont plus faits ou des rendez-vous professionnels manqués.

En plus de ces conséquences sur la vie sociale et professionnelle, les comportements addictifs peuvent entraîner des répercussions sur la santé globale (prise de poids due à une alimentation déséquilibrée et un manque de sport, problèmes de sommeil et donc fatigue, problèmes de vue) et générer état dépressif, stress et anxiété.

Les effets peuvent aussi être financiers. Avec les jeux d’argent par exemple, et parce que le joueur espère toujours «se refaire», il n’est pas rare de perdre des sommes très importantes, menant au surendettement, duquel il est difficile de sortir. «La plupart des personnes concernées ressentent comme un soulagement le fait de rompre le silence et de faire appel à une personne de confiance. Le poids de la dissimulation et des mensonges disparaît et ouvre la voie à des solutions», explique Monique Portner-Helfer, porte-parole de la Fondation Addiction Suisse.

Des mesures de prévention

La prévention pourrait-elle éviter certaines dérives et conséquences dramatiques telles qu’un surendettement? «Différentes études ont montré que la prévention dans le domaine des addictions était assez peu efficace sur le plan individuel, note le Pr Daniele Zullino, psychiatre aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Toutefois, en termes de santé publique, il est possible de mener des actions pertinentes, par exemple en diminuant l’accessibilité au produit ou au jeu, ou en définissant des règles sociétales. Cela a été fait avec le tabac et l’alcool. La meilleure prévention dans l’addiction reste de dépister tôt pour pouvoir intervenir précocement.»

Cette détection précoce peut être faite par les proches, qui peuvent remarquer les variations de comportement du joueur ou ses changements d’humeur. «Mais, notamment du fait du fossé intergénérationnel, y compris sur le plan informatique, ce n’est pas toujours la famille qui sera la mieux placée pour aider un jeune par exemple, estime le Pr Zullino. Les enseignants, qui peuvent rapidement repérer un changement dans les notes ou le comportement d’un élève, un entraîneur sportif ou le médecin de famille peuvent aussi repérer un comportement addictif, puis aider et accompagner la personne.» L’entourage peut ainsi endosser un important rôle de soutien. «Addiction Suisse leur conseille de parler ouvertement avec la personne concernée et d'exprimer leurs propres préoccupations et observations. Des possibilités d’aide peuvent être mentionnées», souligne sa porte-parole.

Des solutions pour s’en sortir

Il est aussi possible de se sortir seul d’une addiction. «L’objectif est en fait de trouver une meilleure harmonie au quotidien entre ses différentes activités, décrit le Pr Khazaal. Il est par exemple aidant que la personne en difficulté puisse renouer avec une activité passée qui lui procurait de la joie. Avec du temps, de la persévérance et le soutien de ses proches, en reprenant peu à peu confiance en elle, la personne arrivera à décider elle-même de modifier ses pratiques pour diversifier ses sources de plaisir et d'épanouissement.»

L’intervention d’un médecin, pédiatre ou généraliste, se révèle dans certains cas indispensable. «Une thérapie peut aider à retrouver un raisonnement là où il n’y a plus que des automatismes, explique le Pr Zullino. Car, il faut le souligner, les comportements addictifs, quel que soit le type d’addiction, correspondent à des comportements automatisés, des habitudes figées, déclenchés par un stimulus. Ils se produisent sans que l’on n’y réfléchisse.»

Un bilan médical permet aussi de mieux comprendre ce que le comportement addictif apporte à la personne souffrant de comportements excessifs. «Il y a du positif, car il y en a toujours, qu’il faut comparer aux aspects négatifs, développe le psychiatre genevois. En fonction de la balance, le patient fait un choix. Il doit lui-même décider de ses objectifs de vie.» Puisque l’addiction incite toujours à penser à court terme, la prise en charge passe aussi par l’élaboration d’un plan de vie, à moyen et long termes, qui intègre les possibles risques de rechute et échecs.

Pas de traitement disponible

Sur le plan pharmacologique, il n’existe pas de solution efficace pour aider à se défaire d’une addiction au jeu ou aux réseaux sociaux. Des médicaments peuvent en revanche être utiles pour atténuer certaines comorbidités associées aux comportements addictifs que sont la dépression et les troubles anxieux. «La prise en charge médicale des addictions et de ses comorbidités n’est pas obligatoirement longue, rappelle le Pr Zullino, mais dans tous les cas, plus l’addiction est prise tôt, mieux c’est.»

Tous addicts?

Une très petite minorité de joueurs perd le contrôle et tombe dans l’addiction. Mais qui sont ces joueurs invétérés qui ne pensent qu’à leurs jeux ou leurs gains et oublient tout le reste? En réalité, toute personne peut un jour se retrouver face à des comportements addictifs. «L’addiction étant liée à un processus physiologique, nous pouvons tous en souffrir, comme nous pouvons tous avoir de la fièvre, explique le Pr Daniele Zullino, psychiatre aux HUG. Mais il existe des facteurs de vulnérabilité.» Ces facteurs augmentant le risque de dépendance sont les problèmes sociaux, l’insécurité (qu’elle soit morale, physique ou financière), l’impulsivité, la susceptibilité face aux émotions négatives, la dépression, l’anxiété ou encore le stress chronique. «Il y a aussi l’âge, précise Monique Portner-Helfer, d’Addiction Suisse. Ainsi, l’adolescence peut être une phase vulnérable, au cours de laquelle beaucoup de choses se jouent.» Et le Pr Zullino de préciser que «les adolescents ne sont toutefois pas les seuls concernés. Le troisième âge est lui aussi très touché par les addictions, il ne faut pas l’oublier. À la retraite, on a du temps mais le risque d’isolement social, et donc d’addiction, est important».

Il existe à l’inverse des facteurs protecteurs: «Sentir que l’on est entouré et que l’on peut compter sur les autres en fait partie, illustre le Pr Yasser Khazaal, psychiatre au CHUV, tout comme avoir une bonne estime de soi et évoluer dans un monde stable et sécurisé.»

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Paru dans le hors-série «Votre santé», La Côte/Le Nouvelliste, Novembre 2023.

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