Une app pour aider les jeunes à réduire leur consommation d’alcool
«L’alcool et toi, ça donne quoi?» C’est par cette question sur sa page d’accueil que l’application Smaart interpelle les jeunes. Son objectif: initier une réflexion autour de leurs habitudes de consommation d’alcool. «La conscientisation de sa consommation est cruciale, introduit le Pr Nicolas Bertholet, médecin adjoint au Service de médecine des addictions du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il est important que les jeunes se questionnent: j’en suis où? Et par rapport aux autres? L’idée est vraiment de déclencher une prise de conscience, qui pourra générer si besoin des changements de comportement. L’application ne dit pas ce qu’il faut faire, elle suggère de réaliser un bilan.»
Les concepteurs de l’application Smaart, le Service de médecine des addictions du CHUV donc, accompagné par des étudiants de l’Université de Lausanne (UNIL), l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l’Hospitality Business School (EHL) et la Haute école de santé Vaud (HESAV), souhaitent aussi que leur application serve à comparer sa consommation à celle des autres.
Se comparer pour moins consommer
Faire de la prévention une priorité
La consommation d’alcool chez les jeunes est un problème de santé publique. «Même si la consommation totale d’alcool toutes catégories d’âge confondues semble diminuer, on sait par exemple que la proportion de jeunes de 15 ans ayant déjà été ivres augmente, en particulier chez les filles, illustre le Pr Nicolas Bertholet du CHUV. Les jeunes boivent moins de petites quantités mais ils ont davantage de consommations ponctuelles excessives.» L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se penche sur ce problème et a par exemple mis sur pied l’initiative SAFER, qui vise à lister les mesures de santé publique à prendre pour une meilleure efficacité dans la lutte contre la consommation excessive d’alcool. Ainsi, elle propose dépistages et prévention. «Il s’agit principalement de mesures structurelles à mettre en place, taxes, limitation d’accès, mesures sur la conduite automobile, etc.», résume le psychiatre lausannois.
Car la comparaison permet de réfléchir à sa propre consommation. «Plus nous buvons, plus nous pensons que les autres boivent beaucoup, explique le médecin lausannois, et plus nous pensons que les autres boivent, plus nous buvons.» Ce phénomène peut faire entrer les jeunes dans un cercle vicieux et mener à une consommation toujours plus importante. D’où les notions essentielles d’évaluation et de comparaison.
L’application propose également de monitorer sa consommation, afin d’observer son évolution et de calculer son alcoolémie un soir de fête. Il est aussi possible de se challenger, pourquoi pas entre amis, en se fixant des objectifs de consommation. Réalisés, on est virtuellement récompensé. «Cette application, nous l’avons voulue très ludique, raconte le Pr Bertholet. Il est par exemple possible de prendre ses amis en photo et l’appli choisit au hasard celui qui ne boira pas d’alcool et conduira!»
Des informations sur la santé
Du contenu permet aussi de s’informer, par exemple sur les différents types de boissons et leurs degrés d’alcool ou sur le nombre de verres recommandés, et de savoir vers quel professionnel se tourner en cas de difficultés. L’application parle santé et conséquences néfastes de l’alcool sur l’organisme. Mais toujours sur un ton décalé, parfaitement adapté à sa cible (les 15-25 ans). «À la fin du bilan par exemple, on donne un équivalent en hamburgers», sourit le Pr Bertholet. Une comparaison qui plaît aux plus jeunes mais qui rappelle aussi et surtout, on a parfois tendance à l’oublier, que les boissons alcoolisées sont souvent sucrées et toujours très caloriques, et donc mauvaises pour la santé. «Ce paramètre peut d’ailleurs inciter ceux qui surveillent leur poids à se motiver pour limiter leur consommation», souligne le médecin lausannois.
Une indispensable prévention des risques
L’alcool engendre aussi, et c’est peut-être le critère le plus impactant à prendre en compte face aux jeunes, des comportements à risque. Après une soirée très arrosée, le risque d’accident, de violence, de passage à l’acte suicidaire ou encore d’agression sexuelle est nettement augmenté. Des comportements qui sont directement reliés au fait que l’alcool limite la réflexion et réduit notamment les capacités de discernement et la perception des situations dangereuses. En effet, 20% des décès chez les hommes de 15-30 ans seraient attribuables à l’alcool (10% chez les femmes). D’où la nécessité de mettre en place des projets de prévention variés, surtout chez une population qui se rend rarement chez le médecin.
Avec des consommations excessives répétées, le risque est aussi de tomber dans une addiction à l’alcool, contre laquelle il n’est pas facile de lutter. «Il est différent de boire pour faire face à des sentiments douloureux ou à une anxiété que pour faire la fête, souligne le Pr Bertholet. Les enjeux ne sont pas les mêmes. Sans addiction, on dispose d’une marge de manœuvre pour moins boire. C’est d’ailleurs pour ces personnes qui consomment mais ne souffrent pas de comportements addictifs que l’application a été créée.» Une application qui, pour ses concepteurs, est un outil de plus parmi d’autres déjà disponibles pour lutter contre la surconsommation d’alcool chez les jeunes. «Elle n’est pas une baguette magique, conclut l’expert. Il est très important de disposer d’une variabilité de dispositifs car cela augmente les chances que chacun trouve celui qui lui convient pour réussir à réduire sa consommation.»
Une étude consacrée à l’application Smaart
Une étude sur l’efficacité de l’applicationSmaart, qui souhaite prévenir la consommation d’alcool à risque chez les jeunes, a été menée auprès de 1770 personnes sur douze mois. Elle a suivi le volume total d’alcool consommé et le nombre de jours de consommation excessive (4 verres ou plus par jour pour les femmes et 5 pour les hommes) des participants, une moitié ayant accès à l’appli, l’autre non. Parmi ceux qui ont eu la possibilité de la télécharger, 80% l’ont installée sur leur smartphone. Certains l’ont beaucoup utilisée, d’autres très peu. En moyenne, ils l’ont consultée 20 fois durant les douze mois. À la fin de l’année de suivi, les personnes du groupe «appli» ont moins consommé d’alcool chaque semaine que le groupe contrôle. «Ils ont aussi eu moins d’épisodes de consommation excessive, souligne le Pr Nicolas Bertholet, investigateur de l’étude. La conclusion est très positive.» Ces bons résultats ont été publiés dans le British Medical Journal.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 08/10/2023
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