Et si boire de l’alcool n’était plus bien vu?
De quoi parle-t-on?
L’apéro est un rituel culturel très ancré en Suisse. Les personnes qui préfèrent du jus à un ballon de blanc sont souvent mal vues. Pourtant, les effets négatifs de l’alcool sur la santé sont bien connus. Le dénormaliser est-il la solution?
«Tu es malade? Enceinte? Sous traitement?» font partie des questions que les personnes amatrices d’apéritifs festifs posent facilement à celles qui préfèrent un soda à un verre de vin. Il faut dire qu’en Suisse, boire régulièrement de l’alcool est une pratique socialement bien vue. Ce sont donc souvent les abstinents, ponctuels ou réguliers, qui se font taquiner sur leur prétendu manque de convivialité. En caricaturant un peu: qui ne boit pas est rabat-joie. Et pourtant, n’en déplaise aux amateurs de coups de blanc, mojito et digestifs, l’alcool nuit à la santé. «C’est une substance psychotrope dangereuse. Elle est responsable de pas moins de 1600 morts par an en Suisse. Chez les jeunes de 20 à 35 ans, c’est la première cause de mortalité, qu’elle soit liée à un accident causé par une trop grande consommation d’alcool, à des comportements agressifs en état d’ivresse ou à des suicides commis sous influence de l’alcool», explique le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint responsable de l'Unité des dépendances aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Alcool et tabac, même combat?
Substance dangereuse et pourtant légale, l’alcool pourrait-il devenir moins bien accepté par la société, un peu à l’image du tabac, qui s’affichait avant sans vergogne (publicités, sponsoring, films) et que l’on pouvait consommer partout? Grâce, entre autres, à son interdiction dans les lieux publics fermés, fumer n’est plus aussi anodin aux yeux du grand public. «L’exemple du tabac montre qu’il est possible de faire changer les mentalités et de passer d’une substance à la mode à un produit reconnu comme néfaste», poursuit le spécialiste. La fumée passive et ses conséquences sur la santé des non-fumeurs ont toutefois joué un rôle important dans la mise au ban des cigarettes. Si l’alcool n’entraîne cependant pas de désagréments semblables pour les convives non-buveurs, le Dr Favrod-Coune n’est pas de cet avis: «L’alcool a aussi des conséquences sur autrui. Outre des coûts de la santé importants, il provoque notamment des accidents, des comportements agressifs, des incivilités. La moitié des infractions pénales sont perpétrées sous l’influence de l’alcool. Il est donc très important de dénormaliser sa consommation.»
Normaliser l’abstinence
Nicole Egli Anthonioz, cheffe de projet au sein du secteur recherche d'Addiction Suisse, rajoute: «Dénormaliser, c’est bien, mais on peut aussi penser à normaliser l’abstinence. Certaines interventions structurelles aident à y parvenir, comme poser des restrictions dans les cantines d’entreprises, limiter les horaires de vente et augmenter l’âge légal, entre autres. Les alcopops, ces boissons sucrées semblables à des sodas alcoolisés, sont vendus aux plus de 18 ans et non au plus de 16 ans. Cette différence est importante, car plus on entame tôt la consommation d’alcool, plus on est à risque de développer des habitudes problématiques ultérieurement.»
Moins tous les jours, mais plus en grande quantité
La consommation quotidienne d’alcool a chuté. En 1992, 30% des hommes buvaient tous les jours; en 2017, ils n’étaient plus que 15%. Une bonne nouvelle pourtant contrebalancée par une augmentation de la consommation à risque entre 2007 et 2017, dont la prévalence est respectivement passée de 13,8% de la population à 17,7%. Et cela malgré un changement de discours des professionnels de la santé. «Aujourd’hui, le message est clair: il n’y a aucun bénéfice à boire de l’alcool, même juste un verre par jour. On ne peut en effet pas isoler les effets bénéfiques cardiovasculaires des tanins du vin, de ceux toxiques sur le corps dans son entier. La consommation d’alcool est responsable de plus de deux cents maladies! C’est une drogue au même titre que les autres. Il ne faut pas l’interdire, car cela ouvre la voie à un marché noir dangereux. En revanche, il faut réduire son accessibilité et cesser d’en faire la promotion», conclut le Dr Favrod-Coune.
Réfléchir à sa consommation pour mieux la gérer
Pour la majorité des gens, opter pour l’abstinence totale d’alcool n’est pas indispensable. Boire de temps en temps un verre n’est pas spécialement bon pour la santé, mais c’est un plaisir au même titre qu’une sucrerie qui n’est pas particulièrement indispensable à l’organisme. Il y a une distinction à faire entre une consommation jugée problématique (lorsqu’elle dépasse 10 unités d’alcool* par semaine pour un homme et 5 pour une femme) et une addiction. Cette dernière nécessite un diagnostic médical et n’est pas uniquement liée aux doses ingérées, mais à la dépendance physique et psychique (et donc au manque) à la substance.
«Boire peut procurer du plaisir et cela ne doit pas être diabolisé. En revanche, prendre conscience des risques liés à sa propre consommation et réfléchir à la façon dont on boit est important. Est-ce tous les jours? Fait-on des excès ponctuels? Peut-on se priver facilement d’un verre? Quels sont les comportements adoptés sous l’emprise de l’alcool? Des initiatives comme le Dry January (le mois sans alcool, initié en Grande-Bretagne, ndlr) sont intéressantes car elles obligent les personnes qui y participent à mieux se rendre compte de leur consommation et à trouver des alternatives», explique Nicole Egli Anthonioz, cheffe de projet au sein du secteur Recherche d'Addiction Suisse.Les adeptes du Dry January le clament haut et fort: ils dorment mieux pendant cette période d’abstinence, ont plus d’énergie et finissent par moins boire durablement les autres mois de l’année.
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* À titre d’exemple, une bière de 2,5 dl, 1 dl de vin ou encore 0,25 dl de whisky correspondent chacun à une unité d’alcool.
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