Des fêtes de fin d’année sans gueule de bois?
Pas égaux face à l’alcool
Les effets aigus de l’alcool sont très variables entre individus mais évoluent aussi au cours du temps. «Au-delà de 75 ans, on est généralement plus vulnérable face à l’alcool. En vieillissant, la composition corporelle change et le métabolisme ralentit, ce qui peut expliquer que l’alcoolémie grimpe plus vite. Les fonctions cognitives sont aussi altérées plus facilement», remarque Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint à l’Unité de dépendance des HUG.
Nous ne sommes pas égaux non plus face au risque de lésions hépatiques. «Il existe des prédispositions génétiques favorisant ces lésions, illustre Florent Artru, médecin associé au Service de gastro-entérologie et hépatologie du CHUV. Il a aussi été montré que la NASH, la "maladie du foie gras", est un facteur de fibrose hépatique d’autant plus important quand elle est associée à une consommation d’alcool. Or cette maladie peut toucher des patients jeunes et qui le plus souvent l’ignorent.»
Après une année bien morose, si l’épidémie nous offre un répit, il est probable que veillées de Noël et soirées de la Saint-Sylvestre soient encore plus arrosées qu’à l’accoutumée. Suivies, pour de nombreux fêtards, de la rencontre au petit matin avec la veisalgie, syndrome mieux connu sous le nom de gueule de bois. Or, force est de constater que les recettes trouvées sur les réseaux sociaux ou précieusement transmises de génération en génération ne sont pas toujours d’une grande efficacité contre les intoxications dues à l’alcool. Des chercheurs allemands ont donc mis sur pied un petit essai randomisé, contrôlé, en double aveugle et contre placebo, afin d’évaluer l’effet de compléments alimentaires à bases de plantes et de sels minéraux.
Inflammation et stress oxydant
Publiée dans la revue BMJ Nutrition, Prevention & Health, cette étude a rassemblé un peu plus de 200 volontaires prêts à risquer la cuite pour faire avancer la science. Répartis en trois groupes, ils et elles ont subi une batterie de tests et de prélèvements biologiques avant de commencer à ingurgiter durant deux heures des boissons alcoolisées (bière, vin blanc, cocktail) pour atteindre l’ivresse. Selon leur groupe, ils ont ensuite reçu soit un complément alimentaire contenant des sels minéraux (magnésium, potassium, zinc…) et des plantes (ginko, acerola, gingembre…), soit seulement les sels minéraux, soit un placebo ne contenant que les excipients (glucose, arôme, inuline…). Après de nouveaux prélèvements, chacun a été raccompagné chez lui pour la nuit. Au petit matin, les participants ont subi de nouveaux tests et rempli un auto-questionnaire contenant plus de 40 symptômes afin de décrire et évaluer leur veisalgie. Sans grande surprise, on retrouve sur le podium la soif, la fatigue et la somnolence, avec de nombreuses perturbations des fonctions cognitives (confusion, chute de l’attention, de la réactivité…), ainsi que des maux de tête et d’estomac.
Si les symptômes d’une gueule de bois varient selon les individus, une chose est sûre: chez tout le monde, c’est le foie qui est en première ligne face aux excès de boisson. «90% de l’éthanol absorbé est dégradé par cet organe, grâce à trois voies métaboliques: celle de la catalase, de l’alcool déshydrogénase et du cytochrome P450, rappelle le Dr Florent Artru, médecin associé au Service de gastro-entérologie et hépatologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). L’éthanol est ainsi dégradé en acétaldéhyde et acétate, des molécules toxiques qui déclenchent diverses réactions cellulaires, avec notamment une inflammation et du stress oxydant.» Si un excès ponctuel a des conséquences plus désagréables que dangereuses, la plupart du temps, la répétition pourrait augmenter le risque de maladies hépatiques. Très silencieuses, celles-ci sont souvent déjà à un stade avancé quand les premiers symptômes se font sentir. «Une intoxication à l’alcool peut aussi finir en coma éthylique. Nous en enregistrons deux fois plus pendant les fêtes que le reste de l’année, souligne Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint à l’Unité de dépendance des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et n’oublions pas aussi que l’alcool reste un grand pourvoyeur d’accidents de la route et de violences.»
Miser sur les plantes?
L’analyse menée par les chercheurs allemands ne parvient malheureusement qu’à de maigres conclusions sur l’intérêt des compléments testés. Le seul résultat significatif de cette étude est que le cocktail de plantes aurait un petit effet sur les maux de tête et l’agitation. Pour soutenir leurs résultats, les auteurs listent longuement les bienfaits, notamment sur le stress oxydant et l’activation du métabolisme hépatique, de diverses plantes, mais dont la plupart n’étaient pas dans leur mélange!
De nombreux compléments alimentaires censés éviter ou soulager la veisalgie misent effectivement sur la phytothérapie. «Nous utilisons un mélange de plantes reconnues pour booster le foie et le pancréas, comme l’artichaut, le pissenlit et le romarin», explique ainsi Xavier Brun, cofondateur de Swissbiolab, société suisse qui produit des compléments de ce type. S’il souligne que le succès commercial semble au rendez-vous, le produit n’a pourtant pas été évalué scientifiquement. «Nous avions prévu une évaluation clinique cette année, repoussée en 2021 à cause du Covid. Mais nous tenons vraiment à réaliser ces tests», insiste Xavier Brun.
Le Pr Beat Meier, ancien directeur général de la Société suisse de phytothérapie médicale, est quant à lui très réservé sur l’intérêt des plantes pour traiter les symptômes de la veisalgie. «Certaines plantes sont en effet utilisées en phytothérapie pour améliorer la fonction hépatique, mais ce ne sont pas celles testées dans cette recherche, souligne l’expert. Il faut être très vigilant, les compléments alimentaires ne sont pas des médicaments de phytothérapie qui, eux, contiennent des concentrations de principes actifs souvent bien plus élevées. De plus, sauf certaines exceptions comme l’opium, les médicaments de phytothérapie ne produisent pas d’effets immédiats mais ont des vertus sur le moyen ou long terme, ce qui présente peu d’intérêt pour la veisalgie.»
Les experts rencontrés sont donc unanimes: la seule méthode efficace à ce jour pour éviter la gueule de bois est de connaître ses limites et de consommer avec modération en alternant par exemple alcool et soft drinks, ce qui de plus aide à rester hydraté. Pour ceux qui auraient malgré tout versé dans l’excès, la prise de paracétamol peut aider à calmer certains symptômes. Mais il faut veiller à respecter la dose maximale quotidienne, la molécule pouvant provoquer des hépatites sévères voire fulminantes en cas d’excès. Enfin, ceux qui s’en remettent habituellement au café seront sans doute ravis d’apprendre que, selon de récentes études, la consommation quotidienne de 2 expressos aurait des effets anti-fibrogéniques sur le foie. Au moins une bonne nouvelle pour démarrer l’année!
Une consommation classiquement sous-estimée
Et si cette «bonne soirée avec quelques verres» était en fait une consommation massive d’alcool? «Ce terme est bien défini médicalement, il s’agit de l’absorption de 6 unités d’alcool en une occasion», précise Florent Artru, médecin associé au Service de gastro-entérologie et hépatologie du CHUV. Une unité d’alcool correspond à 25 cl de bière, un verre de vin (10 cl) ou une dose d’alcool fort. Mais dans la réalité, et surtout si l’on consomme à domicile, les verres sont souvent plus remplis et les six doses sont très vite atteintes.
Pour ce qui est du binge drinking, que l’on associe souvent à des scènes de beuveries, les apparences peuvent aussi être trompeuses. Il se définit par la consommation, en deux heures, de 4 unités d’alcool pour les femmes et 5 pour les hommes. «Ce type de consommation est plus toxique pour l’organisme car les capacités de métabolisation de l’alcool se retrouvent dépassées. Si vous versez 5 litres d’eau dans un évier en une fois ou petit à petit l’écoulement ne sera pas le même. C’est pareil avec le binge drinking qui provoque une accumulation d’alcool et, par conséquent, augmente rapidement l’alcoolémie», détaille Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint à l’Unité de dépendance des HUG. Par ailleurs, la répétition de ces excès peut conduire à une consommation à risque. Des auto-questionnaires en ligne, tels que AUDIT, peuvent permettre une évaluation objective de ses habitudes en matière d’alcool.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 20/12/2020.
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