Alcool: comment protéger les enfants de parents dépendants?

Dernière mise à jour 19/06/23 | Article
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Isolement, problèmes scolaires, troubles psychologiques… comment l’addiction d’un parent peut-elle impacter l’enfant? Quels signes doivent alerter l’entourage? Vers qui se tourner pour trouver de l’aide? Éléments de réponse.

En Suisse, environ 100000 enfants vivent avec un parent présentant une consommation problématique (alcool ou autres substances). Un chiffre alarmant qui révèle des situations familiales souvent extrêmement compliquées. En effet, l’addiction à une substance devient rapidement un fléau pour celui qui en souffre mais aussi, on l’oublie souvent, pour son entourage proche, en particulier ses enfants, victimes indirectes de la dépendance, qui fait plonger le quotidien dans une grande instabilité. Le foyer n’est alors plus un cadre de sécurité, mais un lieu où la peur est constante. «Ces enfants sont soumis à une forte angoisse née de l’incertitude de ce qui les attend à la maison, de l’état dans lequel ils retrouveront leur papa ou leur maman en rentrant de l’école», souligne Markus Meury, porte-parole d’Addiction Suisse.

6 étapes pour agir

Dans une brochure intitulée «Que peut faire l'entourage[1], l’association Addiction Suisse propose des clés pour chercher le dialogue avec lesparents et venir en aide aux enfants:

1. «J’en parle avec le ou les parents avec une addiction»

2. «J’en parle avec l’enfant»

3. «Je suis là pour l’enfant»

4. «J’en parle avec un professionnel en contact avec la famille»

5. «Je contacte un service spécialisé»

6. «Je contacte l’autorité de protection de l’enfance»

L’alcool, des études le constatent, est un facteur important de violences domestiques, son effet désinhibiteur favorisant le passage à l’acte. «Il entraîne également un appauvrissement de la fonction cognitive qui empêche un raisonnement pacifiste», ajoute le Dr Thierry Favrod-Coune, médecin adjoint au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Les enfants sont à risque de subir des violences physiques, mais aussi psychologiques, et des négligences. «Un individu en proie à l’addiction reporte souvent la faute sur autrui, a fortiori l’enfant, qui grandit avec une culpabilité permanente», constate Markus Meury. 

Enfin, la dépendance d’un parent est souvent un marqueur sous-estimé de prédisposition familiale, qu’elle soit génétique ou non (reproduction d’un schéma, fragilité suite aux traumatismes, par exemple). Un enfant dont les parents souffrent d’addiction aura ainsi un risque six fois plus élevé d’en souffrir lui-même. 

Des rôles qui s’inversent

L’alcoolisme d’un parent peut aussi se répercuter sur la scolarité. Troubles de la concentration, difficultés à travailler à la maison, isolement, décrochage scolaire… Dans certains cas, en particulier dans les familles monoparentales, c’est à l’enfant que revient la responsabilité de certaines tâches normalement assignées à l’adulte: courses, ménage, lessives, démarches administratives… auxquelles s’ajoute le poids du sentiment d’être «responsable» de la vie de son parent. Cette «parentification» peut être lourde à gérer. «L’inversion des rôles perdure parfois jusqu’à l’âge adulte, certaines personnes assumant toujours la charge de leurs parents dépendants», constate Markus Meury. 

Comment aider?

En mars dernier, une vaste campagne de sensibilisation a été menée par la Fondation Addiction Suisse pour sensibiliser au rôle des proches face à un enfant dont les parents souffrent d’une addiction. Un rôle parfois difficile à saisir. «Un enfant est très loyal à ses parents et ne parle que rarement de sa situation à une personne extérieure», note Markus Meury. Par ailleurs, les difficultés de l’enfant peuvent s’exprimer de multiples manières: fatigue, agressivité, renfermement sur soi… Des signes d’alerte complexes à identifier. Les soupçons se portent généralement davantage au contact des parents, dont les problèmes d’addiction peuvent être plus faciles à reconnaître que le mal-être d’un enfant. 

Face à une situation anormale, la première chose à faire est de briser le silence. Que l’on soit un membre de la famille, une voisine, un médecin, un ami, une enseignante, il est important de parler, à l’enfant ou au parent concerné, en mentionnant ses observations sur la situation et en proposant de l'aide. Cela dans une attitude d’aide et de soutien et non pas de jugement. «La dépendance est une maladie et une souffrance. Intervenir, ce n’est pas juger ou stigmatiser, c’est au contraire soutenir et aider», poursuit le Dr Favrod-Coune. 

Au-delà du tabou que représente l’addiction, le silence des proches peut aussi s’expliquer par la peur de provoquer, en signalant la situation aux autorités, un placement de l’enfant. «Mais ce n’est pas le cas. Le placement est le dernier recours, quand toutes les autres solutions pour maintenir l’enfant dans un environnement familial stable ont été infructueuses», précise Markus Meury. 

De nombreuses structures spécialisées sont à la disposition des proches pour apporter conseil et soutien: associations (Carrefour Addictions, Croix Bleue, etc.), groupes de parole, consultations spécialisées à l’hôpital (Unité des dépendances aux HUG ou Service des addictions du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), par exemple) ou encore groupes d’aide aux familles (Al-Anon, Caritas, Antenne drogue famille, etc.). «Le médecin généraliste, le pédiatre ou encore l’infirmier scolaire sont également une bonne porte d’entrée et peuvent aiguiller vers un psychologue ou un service spécialisé», ajoute Thierry Favrod-Coune. 

En cas de violence, des structures telles que LAVI[2], l’Unité de prévention de la violence (UIMPV) et le Groupe de protection de l’enfance des HUG, ou encore les Services de protection des mineurs des différents cantons peuvent intervenir.

Aline*: «Très peu d’adultes se sont préoccupés de moi»

«Mes parents ont divorcé quand j’avais 5 ans. L’alcoolisme de ma mère en est probablement une des causes. Étonnamment, ma garde lui a été confiée. Ce n’est pas facile à situer temporellement, mais il me semble que l’alcoolisme de ma mère était relativement gérable jusqu’à ce que j’aie une dizaine d’années. Puis cela a dégénéré. Elle buvait toujours plus, à la maison, en cachette. Les problèmes n’ont pas tardé à arriver. Je me rappelle de cette période comme un abîme de détresse et de solitude. Je suis devenue le parent de ma mère. Je passais mon temps à réparer ses bêtises. Elle me demandait tout le temps de l’aide, d’aller lui acheter de l’alcool. Elle me faisait régulièrement honte en public et, habitant dans un village, on sait très bien que "tout le monde sait". Souvent malade, souvent absente, elle a perdu plusieurs emplois et a accumulé des dettes, jusqu’à ce qu’elle ne paye plus le loyer. Elle a fini par devoir se tourner vers les services sociaux. Maintenant adulte, j’ai un regard très dur sur cette période, notamment envers les adultes qui m’entouraient. Très peu se sont préoccupés de ce que je vivais. J’étais sage, brillante scolairement, alors "pourquoi s’inquiéter?".»

*Prénom d’emprunt. Propos recueillis par Addiction Suisse.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 18/06/2023

[1] www.enfants-parents-dependants.ch

[2] Centre de consultation pour victimes, possédant des antennes dans différents cantons.

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