Habitat et bien-être, des liens étroits
Sa recherche sur les trajectoires résidentielles au cours de la vie, publiée dans le journal Longitudinal and Lifecourse Studies, a reçu en juillet dernier le prix LIVES 2018. Le sociologue belge Bram Vanhoutte nous parle de ce sujet original depuis Manchester, où il vit désormais.
Dr Bram Vanhoutte En tant que sociologue, je m’intéresse de manière générale à l’influence du parcours de vie sur le bien-être. Les études portent souvent sur l’impact des différences sociales, du niveau d’éducation, de l’activité professionnelle sur la qualité de vie, mais jamais de l’habitat. Or, le lieu où l’on vit est un des plus grands soucis que l’on peut avoir dans la vie. Aborder cette question sous cet angle me paraissait intéressant.
Déménager est connu comme l’un des premiers facteurs de stress de l’existence. Qu’en est-il exactement?
Le déménagement est, il est vrai, une source de stress, mais de courte durée. Dans ma recherche, le déménagement est davantage envisagé comme un facteur d’influence sur le long terme. Ce sont surtout les raisons, positives ou négatives, qui l’ont motivé, qui comptent.
En quoi votre recherche est-elle originale?
Il y a, c’est vrai, beaucoup d’attention des chercheurs sur le déménagement et l’achat de la première maison comme facteur d’influence sur la qualité de vie. Mais plutôt dans une vision à court terme. De mon côté, je me suis intéressé à la trajectoire de vie pour mieux comprendre les effets à plus long terme du type d’habitat. J’ai pris en compte la nature du logement (location, propriété, logement non-privé comme l’internat, par exemple, ou la vie à l’étranger). Car tout le monde n’achète pas une maison dans sa vie. Et parce que dans un monde globalisé, on est nombreux à vivre dans plusieurs pays au cours de sa vie. Or, ces deux cas de figure ne sont souvent pas pris en considération dans les recherches qui se limitent à un cadre national.
Quels autres facteurs avez-vous pris en compte?
L’essence de l’étude est de montrer comment trois différentes conceptions du temps peuvent être liées aux circonstances de vie. Je distingue la durée (temps passé dans un logement); la temporalité ou timing (période de vie dans laquelle les déménagements ont lieu); et l’ordre des transitions entre les différents types de logement (location, propriété, vie à l’étranger), en me basant sur la trajectoire de vie des cinquante premières années.
Qu’en est-il du bien-être?
On distingue premièrement le bien-être affectif, qui désigne le sentiment d’être heureux, dans une perspective à court terme. Deuxièmement, le bien-être cognitif ou la «satisfaction». Une forme de bien-être plus rationnelle et adaptative (balance entre le positif et le négatif). Enfin, il y a le bien-être «eudémonique» (capacité de se fixer des buts, autonomie).
Qu’est-ce qui ressort de votre recherche?
Déménager souvent durant l’enfance semble avoir peu d’impact plus tard dans la vie. Une grande mobilité au début de l’âge adulte est par contre liée à un plus grand bien-être, sans doute parce qu’elle est le signe de transitions positives (augmentation des ressources financières, fait de se mettre en couple ou d’avoir des enfants). A contrario, les déménagements en milieu de vie sont associés à une moins grande satisfaction. Cela se comprend si on pense que le divorce, le chômage ou la perte du conjoint en sont souvent la cause.
Ensuite, plus on est locataire longtemps, moins le sentiment de bien-être affectif et l’autonomie sont élevés en deuxième partie de vie. Une donnée à replacer dans le contexte britannique, où les objets loués sont souvent de mauvaise qualité. A l’inverse, être propriétaire durant plusieurs années est associé à un bien-être affectif élevé et à un sentiment d’autonomie, mais pas nécessairement à une plus grande satisfaction.
Enfin, les personnes qui suivent une trajectoire «descendante» sont ceux dont le bien-être est le plus bas. C’est le cas des locataires qui ont, durant leurs premières dix-huit années de vie, vécu dans la propriété familiale. Ne pas pouvoir maintenir le même niveau de vie que ses parents est contraire aux attentes, et donc source de frustration. De même, le déménagement d’une propriété vers un objet loué est problématique du point de vue de la satisfaction, étant donné que cela va à l’encontre des normes sociales. Pour terminer, la trajectoire des expatriés britanniques semble favorable, en raison d’un temps réduit passé dans un logement semi-privé ou de location, mais surtout d’un accès facile à la propriété au moment du retour en Grande-Bretagne. Un groupe très spécifique, de privilégiés.
Que peut-on en conclure?
D’abord, il y a souvent, derrière un déménagement, des raisons plus profondes qu’un simple désir de changement. Mais surtout: le fait d’être propriétaire est perçu comme une source de bien-être présentant de nombreux avantages. D’abord parce que l’habitat n’est plus une préoccupation. Ensuite, parce qu’être chez soi est un indicateur de sécurité économique et psychosociale. Acquérir un bien immobilier est donc bien plus qu’une transaction financière ou une possession. Avoir sa propre maison est un refuge sur lequel on peut se reposer. En ce sens, il me paraît important que les politiques encouragent l’accès à la propriété.
Vous vivez en Angleterre, mais vous êtes belge. Comment vous situez-vous par rapport aux résultats de votre recherche?
J’ai déménagé plus que je ne le voulais dans ma vie, mais je suis quand même assez heureux. Quand j’ai entamé cette recherche, j’avais déjà déménagé deux fois plus que les personnes que j’ai interrogées. A notre époque, on déménage plus souvent et la mobilité entre les pays est plus courante. Par contre, il est toujours plus difficile d’acheter un bien immobilier. Si on achète, on achète plus tard, de même qu’on fonde sa famille plus tard. C’est pourquoi il est important de tenir compte du contexte et de la génération.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 32 - Décembre 2018