Pr René Frydman: «La connaissance peut être retardée, enfouie, mais tôt ou tard, elle se dévoile»
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la gynécologie-obstétrique?
Pr René Frydman Un hasard. A l’époque je faisais de la chirurgie, de l’orthopédie et de la traumatologie. Ce qui m’importait, c’était de me sentir utile, d’aller sur le terrain opérer dans l’urgence. Les maladies chroniques ne m’intéressaient guère. L’obstétrique encore moins. Etudiant, je m’étais d’ailleurs toujours débrouillé pour ne pas faire les accouchements. Je trouvais ça complètement nul et surtout, je ne voyais pas la place de la médecine dans cette affaire. Il me semblait que la femme était capable de se débrouiller seule. Puis, j’ai été amené à faire un stage de chirurgie molle. Le hasard a voulu que je me retrouve dans le service de gynéco- obstétrique. Et là… j’ai eu l’impression d’être retombé dans le Moyen Âge.
Le Moyen Âge, c’est-à-dire?
J’avais déjà vu un certain nombre de femmes mourir, dont l’une d’une septicémie lors d’un avortement clandestin. J’avais même milité pour l’autorisation de l’avortement, mais je ne me doutais pas une seconde de l’état des services d’obstétrique des hôpitaux français. Le premier jour de mon stage d’interne, le patron nous reçoit dans son bureau. Il est appelé pour effectuer une césarienne et il me demande de l’accompagner. Je l’assiste pendant la césarienne où il finit par sortir deux mouflets qui devaient peser environ 500 g chacun. Il les pose, nus, sur une plaque de marbre froide puis hurle «Appelez-le vite, appelez-le vite!» Je m’attendais évidemment à voir arriver le réanimateur en toute urgence. Eh bien non. C’est le curé qui est venu, pour donner l’extrême-onction. Nous sommes en 1972. En France, à Paris! Là, je me suis dit ok, il y a de toute évidence quelque chose à faire ici. Et c’est une urgence. Je pense que c’est en partie cette expérience qui m’a poussé à choisir cette spécialité.
Vous êtes devenu le pionnier en France des fécondations in vitro, des bébés double-espoir et j’en passe. Vos activités sont néanmoins loin d’être approuvées à l’unanimité. Je pense notamment à l’Eglise catholique. Pourquoi les croyants sont-ils généralement contre les fécondations in vitro?
Dans de nombreuses religions, et cela vaut spécifiquement pour la doctrine catholique, la sexualité et la procréation sont absolument indissociables. Les catholiques sont contre toute intervention rendant la sexualité indépendante de la procréation et vice-versa. Pour conserver une certaine humanité, l’homme doit toujours être issu d’un désir, exprimé ou non-exprimé, mais d’un désir. Avec la fécondation in vitro (FIV), on insère clairement une césure entre la procréation et la sexualité. C’est une césure qui s’accompagne de surcroît d’une autonomisation de choix. Nous sommes désormais aptes à décider du moment, si ce n’est davantage, de la conception d’un enfant. Nous nous érigeons, en somme, en maître de la vie à venir, ce qui déroge complètement à l’ordre des choses.
Il y a encore des réticences face à la procréation médicalement assistée (PMA). Pourquoi?
La création de la vie a toujours été une affaire quasi invisible et surtout, non manipulable. Aujourd’hui, elle l’est devenue comp lètement. On peut induire la vie, décider de la supprimer suite à un diagnostic prénatal non satisfaisant et on pourrait même intervenir pour corriger des troubles génétiques qui auraient une portée sur la descendance. Alors, qu’est-ce qu’on fait? Si vous êtes dans un pays où ces manipulations sont interdites, la question ne se pose pas. Vous n’avez pas le choix. Mais si des possibilités s’offrent à vous, que faire? Les gens n’ont pas forcément envie de pouvoir choisir. Il est toujours plus facile de suivre les indications d’un leader ou d’un corpus de pensée que d’être confronté à un choix, qui de plus, dans ce cas, a trait à la création ou la suppression de la vie.
Mais où placer la limite? Peut-on s’imaginer, dans quelques années, décider du sexe, de la couleur des yeux et du niveau d’intelligence de son enfant?
La volonté d’avoir un enfant parfait a toujours existé, la perfection des uns n’étant pas celle des autres. La perfection n’est pas une notion réaliste et comme vous le savez sans doute, il n’y a pas de descendance de Prix Nobel dans les familles, sauf exception bien sûr. Cela dit, chaque fois qu’une nouvelle technique émerge, il faut impérativement la questionner. Permet-elle de diminuer ou de supprimer une souffrance? Choisir entre des yeux bleus ou des yeux noirs n’a pas la même portée que de choisir entre un enfant trisomique ou pas.
Vous êtes donc en faveur de toutes les progressions médicales possibles et imaginables?
Dans la mesure où elles n’aliènent pas une autre personne, oui. Je suis absolument contre la gestation pour autrui par exemple.
A la fin de sa vie, Einstein aurait exprimé ses regrets d’avoir contribué à la création de la bombe atomique. Pourriez-vous exprimer des regrets face aux avancées de la PMA?
Je ne pense pas que nous soyons en mesure de juguler la connaissance. Adam et Eve ont été chassés du paradis parce qu’ils ont touché à l’arbre de la connaissance, rien de plus. La connaissance peut éventuellement être retardée, enfouie, mais tôt ou tard, elle se dévoile. Ce que nous pouvons faire en revanche, c’est la cadrer: réguler par exemple les conditions de son acquisition et de son utilisation. Nous revenons au problème du choix: l’homme peut utiliser l’énergie atomique pour s’éclairer ou pour détruire. Dans le domaine de la reproduction, c’est pareil. Nombreux n’auraient pu concevoir s’ils n’avaient eu recours à la PMA. Naturellement, les avancées de la PMA nous amènent aussi vers des possibilités qui ne sont pas forcément souhaitables. Nous sommes amenés à des questionnements éthiques fondamentaux, dans toutes les branches de la médecine. Mais si nous les évitons, les conséquences peuvent être dramatiques.