Microbiote intestinal et santé mentale: la science tâtonne toujours

Dernière mise à jour 10/12/20 | Article
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Depuis le séquençage génétique des bactéries qui peuplent notre intestin en 2008, le microbiote intestinal semble être devenu le nouveau «patch» miraculeux capable de soigner toutes les maladies. En matière de santé mentale comme dans de nombreux autres domaines, les études s’enchaînent. Il faut toutefois rester prudent à propos de ses possibles effets.

Le microbiote intestinal en chiffres

1,5 En kilos, le poids de l’ensemble des micro-organismes qui peuplent notre intestin

10 à 1000 Le nombre de bactéries présentes par millilitre dans l’estomac

10'000 à 10 millions Le nombre de bactéries présentes par millilitre dans l’intestin grêle

10 milliards à 10'000 milliards Le nombre de bactéries présentes par millilitre dans le côlon

 À force d’être répétée, la phrase est pratiquement devenue un slogan commercial. L’intestin et les milliards de bactéries qui le peuplent, autrement dit notre microbiote intestinal (lire encadré), sont une forme de deuxième cerveau. Comme pour le métabolisme et notamment l’obésité, l’influence supposée de cet organe sur le cerveau vient d’études qui ont comparé le comportement de souris nées sans microbiote, dite axéniques, avec celui d’animaux nés normalement. «En observant les déplacements des animaux dans leurs cages, on a remarqué que les souris axéniques étaient moins aventureuses que leurs congénères: elles restaient dans les recoins et ne partaient pas à l’aventure pour explorer l’environnement dans lequel elles se trouvaient», explique le Pr Jacques Schrenzel du Laboratoire de bactériologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Cette tendance de repli sur soi et de recherche de protection a été assimilée à une propension plus grande à l’anxiété et à la peur. Les souris nées avec un microbiote, parce que plus téméraires, étaient, elles, jugées mentalement plus matures.

«Réinitialiser» la flore intestinale

Pour expliquer ces différences de comportement, les scientifiques pointent une «dysbiose» du microbiote intestinal. Chez certains individus, il y aurait un déséquilibre de ce dernier avec des espèces microbiennes dominantes qui proliféreraient de manière anarchique au niveau de l’intestin. Et ces déséquilibres impacteraient le fonctionnement du cerveau. «Les mécanismes exacts par lesquels cette dysbiose a un effet sur le cerveau ne sont pas encore clairement établis, avoue Jacques Schrenzel. Il existe plusieurs voies directes et indirectes potentielles par lesquelles le microbiote intestinal peut moduler l'axe intestin-cerveau, comme les voies endocriniennes (cortisol), immunitaires (cytokines) et neuronales (système nerveux vagal et entérique). Mais rien n’est démontré complètement aujourd’hui.»

Même si les mécanismes en jeu ne sont pas encore complètement expliqués, les hypothèses pour corriger ces déséquilibres, elles, vont bon train: l'introduction de la microflore d'un individu sain devrait aider à recoloniser le système avec un modèle microbien plus conforme au bien-être, soit en transplantant un nouveau microbiote, soit en permettant à l'hôte de «réinitialiser» sa propre microflore à un état antérieur à la maladie. Comment y arriver? Tout simplement en imitant le modèle observé chez l’animal. Lorsqu’une souris artificiellement dépourvue de microbiote mange des excréments de ses congénères sains, son comportement et son métabolisme changent et deviennent similaires à la souris normale. Ce qui est proposé pour rééquilibrer le microbiote humain est identique: il s’agit de faire «ingérer» à quelqu’un de malade des matières fécales d’une personne saine (coprophagie). Nom de code scientifique: la transplantation fécale, procédé court-circuitant (fort heureusement) la bouche. Il serait ainsi possible de rééquilibrer le système.

De la dépression à la schizophrénie

Avec cette approche thérapeutique, l’espoir est de pouvoir traiter de nombreuses pathologies psychiatriques. Dans une étude parue en 2019 dans Nature Microbiology, des chercheurs de l’Université catholique de Louvain en Belgique ont ainsi identifié deux bactéries, Coprococcus et Dialister, qui étaient systématiquement retrouvées dans le microbiote de personnes souffrant de dépression, indépendamment du traitement antidépresseur.[1] Réduire leur influence intestinale serait ainsi une nouvelle piste pour lutter contre la maladie. Une autre étude, publiée dans le Journal of the American Medical Association, établit un lien entre le fait d’avoir été hospitalisé pour une infection durant l’enfance et un risque accru de développer par la suite un trouble psychique.[2] En cause selon les auteurs : le caractère inflammatoire de l’infection, mais aussi le rôle potentiellement perturbateur des antibiotiques sur le microbiote. «Des études comme celles-ci, il en existe pour de nombreuses pathologies relevant de la psychiatrie, commente le Pr Schrenzel. Pour la schizophrénie et l’autisme notamment, mais aussi pour des maladies dégénératives comme la maladie de Parkinson. Il faut toutefois rester prudent car ces recherches montrent certes des associations, mais en aucun cas des causalités démontrées. Les interactions sont très nombreuses et il reste difficile d’isoler les mécanismes à l’œuvre.»

Vers des psychobiotiques ?

Des limitations qui n’empêchent pas certains chercheurs, irlandais notamment, de prédire l’avènement de «psychobiotiques» pour soigner ces pathologies. «Il s’agit de faire manger à un individu malade des micro-organismes qu’il ne pourra pas digérer et qui pourraient rétablir un fonctionnement sain du microbiote», explique Jacques Schrenzel. Si l’approche est séduisante sur le papier, le professeur genevois pense toutefois qu’on est encore loin d’avoir les preuves suffisantes de l’efficacité du procédé: «Il s’agit pour l’instant d’hypothèses encore très préliminaires qui ont un niveau de preuves très faible.» Autrement dit, la recherche et ses applications cliniques en sont encore à leurs balbutiements. «Il faut raison garder, conclut l’expert. Ceux qui disent que le microbiote va tout régler vont trop loin. Ceux qui pensent qu’il n’a aucune influence sont trop pessimistes. L’avenir et la patience nous diront dans quels domaines il a une influence. Mais qu’il ait une influence considérable sur la santé, y compris mentale, fait peu de doutes.»

Le microbiote intestinal en bref

Le microbiote est l'ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites, champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent au sein d’un organisme sans lui nuire. Chez l’humain, il en existe plusieurs, au niveau de la peau, de la bouche, du vagin, etc. Le microbiote intestinal est le plus important d'entre eux, avec 1012 à 1014 micro-organismes: autant que le nombre de cellules qui constituent notre corps!
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[1] Valles-Colomer M, Falony G, Darzi Y, et al. The neuroactive potential of the human gut microbiota in quality of life and depression. Nat Microbiol 4,623-32 (2019). Disponible sur : https://www.nature.com/articles/s41564-018-0337-x.

[2] Sordillo JE, Korrick S, Laranjo N, et al. Association of the Infant Gut Microbiome With Early Childhood Neurodevelopmental Outcomes: An Ancillary Study to the VDAART Randomized Clinical Trial. JAMA Netw Open 2019;2(3):e190905. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2019.0905.

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Paru dans Esprit(S), la revue de Pro Mente Sana, Novembre 2020.

    

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