Ce que cache notre angoisse face aux vacances

Dernière mise à jour 05/08/24 | Article
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Si la plupart se réjouissent de laisser derrière eux chef, collègues et dossiers pour quelques semaines de repos bien mérité, certains travailleurs accueillent les congés avec appréhension.

«Stress», «souffrance», «angoisse», «anxiété». Ce sont par ces mots très forts que certains décrivent ce qu’ils ressentent à l’approche des vacances. Alors que leurs collègues comptent les jours avant les congés, eux se demandent s’il n’y aurait pas moyen de les repousser… aux calendes grecques. Un comportement qui interroge, peut agacer l’entourage ou devenir inquiétant. À juste titre. Cette angoisse de quitter le travail, la manie d’accumuler les jours de congé sans les prendre ou encore l’incapacité à déconnecter une fois parti sont autant de «red flags» pouvant indiquer une relation au travail qui n’est plus saine.

Quand le travail lui-même gâche les vacances

Les «accros au travail» ne sont pas les seuls à redouter les vacances et ce sont parfois des failles dans l’organisation de l’entreprise qui retiennent les salariés de s’absenter. «Je vois des personnes qui ne sont pas du tout dépendantes de leur travail mais qui n’arrivent plus à être enthousiastes à l’idée de partir, car elles savent qu’il y a un "prix à payer", pointe Nadia Droz, psychologue spécialisée en santé au travail. C’est le cas notamment quand les personnes ne sont pas remplacées ou que les tâches ne sont pas déléguées. Je pense par exemple à certains travailleurs qui devront au retour des congés rattraper le "retard" accumulé, avec à la clé une surcharge de travail pendant plusieurs jours, voire semaines.» Autre cas de figure, la personne dont le manager n’hésite pas à appeler ou envoyer des messages durant les congés, empêchant toute réelle déconnexion. «Certains employeurs sont très ambivalents sur la question des congés et cela pose un réel problème qui n’est pas simple à régler pour l’employé, regrette Nadia Droz. Ce n’est pas acceptable de dire "profite bien de tes vacances" et en même temps "jette quand même un coup d’œil à tes mails"…»

«Les classifications officielles ne font pas état d’une addiction au travail à proprement parler. Cependant, dans le groupe de travail de l’Office fédéral de la santé publique sur les addictions, dont je fais partie, nous avons décidé de traiter de la dépendance au travail, car il s’agit d’une réalité clinique», explique la Dre Sophia Achab, addictologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et médecin responsable de la Consultation ReConnecte, dispositif universitaire multidisciplinaire spécialisé dans les addictions comportementales. Dans une société où la productivité et l’investissement dans le travail sont largement valorisés, il n’est pas toujours simple de repérer la limite du «workaholism». «Nous recevons des patients conscients qu’il y a un problème avec leur relation au travail, qui auraient besoin de ralentir mais qui n’y arrivent pas, relate la médecin. D’autres viennent au départ pour une plainte différente, par exemple la dépendance aux jeux en ligne, ou sont adressés par leur médecin parce qu’ils accumulent des plaintes somatiques, maux de ventre, de tête, douleurs thoraciques, par exemple. C’est lors du bilan initial que nous constatons qu’il y a derrière cela un problème avec le travail.» 

Privé d’un «bouclier»

Si les vacances sont complexes à gérer pour les personnes dépendantes au travail, c’est qu’elles les privent de leur «bouclier», leur protection contre les choses inconfortables présentes dans leur vie. «Ce surinvestissement professionnel est souvent un moyen d’évitement de la vie privée, soit parce qu’elle est inexistante et que la personne ne veut pas être confrontée à ce vide social, soit parce que ce qui s’y passe n’est pas confortable. Les vacances apparaissent donc comme un moment de confrontation avec ce que l’on craint et cette situation peut être très anxiogène», détaille Nadia Droz, psychologue spécialisée en santé au travail, coautrice de Burn out, la maladie du XXIe siècle? (Éd. Favre, 2018). 

Se sentir mal à l’aise à l’idée de quitter son travail quelques jours doit amener à réfléchir sur la place que celui-ci a pris dans notre vie. «Il y a des gens passionnés par leur métier ou pour qui la valeur travail est très forte et passe avant beaucoup de choses, et ce n’est pas problématique, rappelle la Dre Achab. Par contre, quand une souffrance s’installe, qu’on se rend compte qu’on n’arrive pas à décrocher alors qu’on le souhaiterait, que même à la plage on pense à un dossier ou que l’on vérifie ses mails de manière compulsive, là il faut se faire aider.» 

Phase de préparation

Quelques précautions peuvent aider à mieux négocier la délicate période des congés. À commencer par une bonne préparation. Passer de semaines de 50 heures à un agenda vide ne peut qu’accentuer l’angoisse. «On ne part pas en vacances épuisé! Idéalement, il faudrait ralentir le rythme progressivement sur les deux semaines avant le départ. Cette période devrait être réservée uniquement à finaliser ce qui est en cours», conseille la Dre Achab. Autre suggestion: mettre en place une réponse automatique d’absence déjà la veille de son départ, afin de freiner les interlocuteurs qui auraient des demandes complexes. 

Pour ce qui est du planning des vacances, pratiquer la méditation ou enchaîner les activités n’est ni bien ni mal. L’important est de savoir ce qui permet de se ressourcer et de choisir son programme en fonction de ce qui procure du plaisir… tout en respectant les besoins de son entourage (lire encadré). Pour profiter des vacances, il faut aussi que le retour au travail ait été anticipé. «Le premier jour de reprise devrait être consacré à une "remise dans le bain", avec la lecture des e-mails notamment. Quand cela est faisable, on peut par exemple bloquer son agenda pour ne pas avoir de rendez-vous et des réunions le lundi et se ménager ainsi une petite zone de transition», propose Nadia Droz.

Respecter les rythmes de chacun

Les personnes très impliquées dans leur travail peuvent avoir tendance à mener leurs vacances sur le même rythme. De la visite d’une petite église romane programmée à 8h du matin à la randonnée sans fin dont tout le monde rentre rincé, ils remplissent l’agenda de la famille ou de leur groupe d’amis, sans se rendre compte que leurs besoins ne correspondent pas toujours à ceux des autres. «Une partie des personnes qui travaillent beaucoup a besoin d’enchaîner les activités pour recharger les batteries et c’est OK. Mais elles doivent être respectueuses du rythme des autres, en particulier des enfants, souligne la Dre Sophia Achab, médecin responsable de la Consultation ReConnecte spécialisée dans les addictions comportementales. Vacances ou pas, les plus petits ont besoin du même nombre d’heures de sommeil, il faut donc essayer de conserver leur heure habituelle de coucher. Quant aux ados, leur rythme est biologiquement décalé, avec un coucher et un lever plus tardifs que les adultes. Les vacances sont le seul moment de l’année où ils peuvent être en phase avec ce rythme, essayons donc de les laisser en profiter.» Partir ensemble n’implique pas de tout faire ensemble. Discuter du programme et prévoir des activités individuelles et d’autres communes est le moyen le plus sûr pour que chacun puisse profiter de ce moment de ressourcement.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 05/08/2024