Jogging: à consommer avec modération
Alarmés par les accidents cardiaques de plus en plus nombreux dont sont victimes de simples joggeurs, athlètes, ou marathoniens –accidents qui souvent seraient évitables– les médecins s’efforcent désormais de faire passer le message: en matière d’exercice physique, point trop n’en faut!
Car l’actualité nous interpelle de plus en plus souvent. Qui, en effet, n’est pas tombé un jour sur une dépêche du genre «Un homme âgé d’une cinquantaine d’années a été victime d’un malaise cardiaque vendredi après-midi, alors qu’il faisait son jogging au parc des Cropettes. Vers 15 heures, l’homme s’est effondré en pleine course. Le cardiomobile et la police sont intervenus en urgence, mais les secouristes n’ont pu réanimer la victime, qui est décédée sur place».
Depuis Phidippides, dont la légende veut qu’il soit tombé raide mort une fois parvenu à Athènes avec la nouvelle de la victoire des Grecs dans la bataille de Marathon, les exemples de telles morts subites ne manquent pas, chez les footballeurs, les cyclistes ou justement chez les joggeurs amateurs qui se «défoncent» de semaine en semaine.
Les vertus de la modération
L’exercice physique est pourtant bénéfique à notre santé, et particulièrement à celle de notre coeur, à condition toutefois qu’il reste modéré et qu’il procède d’un entraînement régulier. C’est dans cet esprit que la revue Heart (Coeur) a publié récemment un éditorial, sous la plume de deux équipes américaines de Kansas City (Missouri) et de la Nouvelle Orléans (Louisiane). Ses auteurs y soulignent, chiffres à l’appui, que si un exercice physique régulier est certainement favorable à notre système cardiovasculaire et s’il contribue à réduire le risque de décès prématuré, le bénéfice s’estompe dès que l’intensité de l’effort dépasse une certaine limite.
Cela ressort par exemple clairement du graphique emprunté à une étude chinoise menée auprès de plus de 410 000 sujets qui ont été suivis pendant huit ans. Celui-ci montre que le risque de décès (toutes causes confondues) est certes réduit de plus de 40 % chez les individus qui pratiquent un effort physique soutenu en plein air durant 40 à 50 minutes chaque jour, mais que la courbe parvient vite à un plateau lorsqu’on augmente la durée quotidienne de l’exercice. Alors que pour un effort plus modéré, voire léger, le bénéfice semble moindre à première vue (de 20 à 30% seulement de réduction de la mortalité) mais il reste proportionnel à la durée de l’exercice, même au-delà de 110 minutes par jour.
Les auteurs vont même plus loin, en comparant le taux de mortalité des joggeurs à la distance parcourue chaque semaine. Le graphique qu’ils en tirent montre que de quelques kilomètres à une trentaine de kilomètres parcourus chaque semaine la mortalité est réduite de 15% à 25%, alors que dès 40 kilomètres le gain n’est plus que de quelque pourcent, voire inexistant par rapport à un sédentaire.
L’enseignement des Danois
L’intensité de l’effort joue également un rôle important, comme l’a démontré la Copenhagen City Heart Study, qui a suivi plus de 20 000 Danois sur plusieurs décennies. Ceux qui ont le plus bénéficié de leur jogging étaient en effet ceux qui couraient à un rythme modéré durant au maximum 2,5 heures cumulées chaque semaine.
«Un exercice physique trop intense, expliquent les spécialistes, provoque une dilatation du muscle cardiaque et entraîne des microdéchirures ainsi qu’une baisse de la fraction d’éjection, témoin d’une moindre capacité du coeur à se contracter efficacement». De plus, cela mène à une transformation structurelle et électrique du cœur, ce qui annihile certains des bénéfices de l’exercice physique. «Clairement, concluent-ils, le sentiment populaire que plus on en fait, mieux ce sera, se révèle complètement faux».
Troubles dangereux du rythme
Un effort physique particulièrement intense, surtout s’il est pratiqué par forte chaleur ou dans une humidité ambiante élevée, peut aussi entraîner ce que les médecins nomment un «coup de chaleur d’exercice», un phénomène très dangereux pouvant conduire à des dysfonctionnements au niveau de plusieurs organes, voire au décès.
Quant aux morts subites en cours de jogging ou au terme d’un marathon, elles s’expliquent également, comme l’ont montré plusieurs études effectuées en Allemagne et dans le Minnesota, par les dommages infligés au cœur à la suite d’un effort excessif, ou par la présence accrue de plaques d’athéromes, source d’accidents cardiaques.
Les médecins soulignent en outre que les cicatrices laissées dans les parois des oreillettes pourraient faire le lit de dangereux troubles du rythme, précurseurs des fibrillations ventriculaires à l’origine des morts subites.
Notre culture de l’extrême, de plus en plus à la mode, doit résolument être revue à la lumière des nouvelles connaissances médicales.
Références :
- Run for your life… at a comfortable speed and not too far, J. H. O’Keefe et C. J. Lavie, Heart 2013; 99:8 516-519.
- Le coup de chaleur d’exercice, C. Salathé, C. Pellaton, L. Vallotton, M. Coronado, L. Liaudet, Rev Med Suisse 2012;8:2395-9.
- The experience of breast pain in female runnersof the 2012 London Marathon, Brown N et al. Br J Sports Med 2013;0:1–6.
- Consumption of analgesics before a marathon (…): A cohort study, M. Küster, B. Renner, P. Oppel, et al. BMJ Open 2013;3:e002090.