Les bactéries font de la résistance
La découverte des antibiotiques représente incontestablement l’une des étapes les plus importantes de toute l’histoire de la médecine. Rappelons qu’à la fin du XIXe, près de 40% des morts étaient dues aux infections bactériennes.
De nos jours la mauvaise utilisation des antibiotiques – non-respect de la durée du traitement, surconsommation ou prescription inutile – provoque la dissémination de bactéries résistantes aux traitements, et d’autant plus dangereuses. Les conséquences en sont extrêmement graves (voir l’article Surconsommation d'antibiotiques: il faut agir).
Antibiotiques et résistance ont toujours existé
La confrontation entre bactéries et antibiotiques ne date pas d’aujourd’hui. On retrouve plus de 10 milliards de bactéries dans 1 seul gramme de terre! Afin de pouvoir survivre dans cette jungle, certains micro-organismes sécrètent des substances qui empêchent les autres de se développer, se garantissant ainsi une quantité suffisante de nutriments. Les bactéries Streptomyces par exemple produisent contre d’autres bactéries un antibiotique naturel, dont dérive la célèbre streptomycine qui a révolutionné le traitement de la tuberculose. Certains champignons en synthétisent également, dont les Penicillium qui permettent la fabrication de pénicilline. Les antibiotiques ont donc toujours existé, et les bactéries ont toujours évolué pour leur résister. Nous ne faisons que copier la nature en créant de nouveaux antibiotiques.
Mode d’action des antibiotiques
Le principe d’action des antibiotiques repose sur un effet toxique agissant sur des cibles uniquement bactériennes, donc absentes chez l’homme. Les antibiotiques ont pour rôle de détruire la paroi des bactéries, ou bien d’empêcher leur prolifération en inhibant les mécanismes de fabrication de la paroi, des protéines ou de l’ADN bactériens.
Acquisition de la résistance
Comment les bactéries deviennent-elles résistantes à ces médicaments qui semblaient posséder un effet miraculeux ? Les processus de résistance sont multiples. Certains peuvent se concevoir de manière assez intuitive : soit l’antibiotique n’arrive pas à atteindre sa cible, soit il est détruit par la bactérie, soit encore la cible est altérée et l’antibiotique ne peut plus s’y fixer. Une résistance qui fait souvent la une de la presse est celle du staphylocoque doré à l’antibiotique méthicilline. Dans ce cas, l’enzyme permettant la construction de la paroi bactérienne n’est plus bloquée par l’antibiotique et la bactérie peut continuer à se multiplier. Mais il existe d’autres mécanismes, qui ne se rapportent pas à une cible déterminée : certaines bactéries sont capables de créer un environnement qui leur est favorable.
Mutations génétiques ou acquisition d’un nouveau gène
Les changements les plus répandus sont les mutations génétiques, qui modifient la cible visée par l’antibiotique. Ces mutations, rares, se produisent spontanément dans une bactérie sur 10 millions. Dans une infection importante avec plus de 10 millions de bactéries – qui font en masse bien moins qu’une tête d’épingle! – il y aura donc une bactérie qui pourra se multiplier tranquillement, sans se soucier de la présence de l’antibiotique.
Un autre type de changement génétique consiste en l’acquisition d’un fragment d’ADN étranger à la bactérie, porteur d'un gène de résistance naturelle. Cet ADN peut par exemple provenir de bactériophages, les virus qui infectent spécifiquement les bactéries.
Biofilms bactériens ou protection par la cellule-hôte
Les bactéries peuvent aussi développer des résistances sans avoir subi un changement dans leur ADN. C’est le cas des bactéries enveloppées dans un «biofilm», sorte de matrice où leur activité est ralentie, ce qui les protège aussi bien du système immunitaire que des antibiotiques. Dans un autre scénario, les bactéries peuvent survivre à l’intérieur des cellules de l’hôte, afin de se protéger de cellules du système immunitaire. Là encore, les bactéries réduisent leur activité métabolique pour passer inaperçues. Les antibiotiques pénètrent moins bien à l’intérieur de ces bactéries «dormantes», qui peuvent ainsi persister dans le corps du patient malgré des défenses immunitaires performantes et un traitement antibiotique adéquat.
Multirésistances et transfert de résistance
Malheureusement pour les patients et les hôpitaux, des bactéries peuvent devenir résistantes non pas à un seul antibiotique mais à plusieurs. Nous avons vu qu’il est relativement facile pour une population bactérienne d’acquérir une mutation ou un ADN portant un gène de résistance. Il n’y a donc aucune raison pour que ces bactéries ne deviennent pas résistantes à un deuxième antibiotique. De plus, plusieurs gènes de résistance peuvent être transmis d’un bloc. Et, pire, ces gènes peuvent passer d’une espèce bactérienne à une autre, comme on l’a observé entre les entérocoques et les staphylocoques pour la résistance à la vancomycine.
Les causes des résistances aux antibiotiques sont donc très variées, et des gènes responsables sont présents naturellement dans la nature. Mais c’est principalement l’utilisation inefficace ou abusive des antibiotiques qui précipite la dissémination des bactéries résistantes, voire multirésistantes. Le recours aux antibiotiques ne doit donc pas être automatique.
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