Les trous de mémoire sont le plus souvent sans gravité

Dernière mise à jour 13/11/13 | Article
Les trous de mémoire sont le plus souvent sans gravité
«C’est quelqu’un qui m’a dit… qui m’a dit…» Qui m’a dit quoi, au fait? Pas facile de garder la face quand, sans prévenir, le blanc nous assaille. En pleine discussion ou sous des projecteurs, nos trous de mémoire ont de quoi nous déstabiliser, mais ne devraient pas forcément nous inquiéter.

De quoi on parle?

Les faits

Invitée à chanter lors d’un gala contre la maladie d’Alzheimer, le 25 septembre dernier à Paris, Carla Bruni a été victime d’un impressionnant trou de mémoire alors qu’elle interprétait l’un de ses succès. L’artiste s’est justifiée en se disant émue, avant de s’accorder un nouvel essai. Spontanément, les mots lui sont revenus. Au-delà de la gêne qu’elles génèrent, les failles de la mémoire nous confrontent à la peur de la maladie d’Alzheimer. Un amalgame que les médecins savent de mieux en mieux démêler en consultation.

«Les trous de mémoire font partie intégrante de la vie», rassure le Pr Giovanni Frisoni, médecin responsable de la consultation mémoire aux Hôpitaux universitaires de Genève. Nos esprits «sur-sollicités» ont parfois du mal à enregistrer ou à retrouver les informations. Oublier où l’on a posé ses clés de voiture ou les paroles d’une chanson ne sont a priori pas des événements inquiétants.» Un avis partagé par le Pr Jean-François Démonet, neurologue, directeur du Centre Leenaards de la mémoire au Centre hospitalier universitaire vaudois: «Tout comme une légère hypoglycémie (manque de sucre) chez un sportif en plein effort n’est pas le signe d’un diabète, ces trous de mémoire «classiques» ne relèvent pas d’une pathologie, mais simplement d’un accroc dans un processus mental d’une complexité inouïe.»

Mémoire et émotions

Et en effet, notre mémoire est le résultat de l’activation de circuits électriques ultra-sophistiqués au cours de laquelle les neurones rusent sans cesse. Jonglant avec les mots pour donner toute la fluidité possible à nos conversations, la mémoire s’accommode en permanence. Si un mot lui échappe, elle glisse sur son voisin, un synonyme parfait et personne n’y voit rien.

Parfois, cependant, elle ne trouve pas de remplacement ou bute sur l’exemplaire unique souhaité – comme la parole d’une chanson – et c’est le blanc. A cela deux raisons majeures. La première: une vague émotionnelle nous submerge. «Il y a un niveau de stress et d’émotions profitable à la mémoire. Sous l’effet de l’adrénaline, tous nos sens sont en éveil, et la mémorisation est favorisée. Mais au-delà d’un certain seuil, l’effet inverse se produit: trop de stress parasite le processus complexe qui permet au cerveau de rappeler un souvenir», explique le Pr Frisoni. C’est ce qui se produit lorsque vous vous apprêtez à prendre la parole en public, et qu’un imprévu vous déstabilise: bafouillements et trou noir sont alors quasi assurés.

Les investigations généralement proposées quand les troubles de la mémoire sont préoccupants se font en plusieurs étapes.

1. Tableau clinique et tests: Lors d’une première consultation, le neurologue interroge le patient sur ses symptômes, son mode de vie, ses antécédents familiaux, afin d’écarter les facteurs pouvant être à l’origine de troubles transitoires et réversibles de la mémoire. Et ils sont nombreux: surmenage, stress, problèmes cardiaques, dérèglement de la thyroïde, consommation abusive d’alcool, d’anxiolytiques, de psychotropes. Un dépistage des troubles anxieux ou dépressifs peut être proposé. Suivra une série de tests: liste de mots à mémoriser, dessin à reproduire, histoire à lire puis à raconter.

En fonction des résultats, le spécialiste exclut une pathologie cérébrale, et la prise en charge s’arrête là, ou juge utile de poursuivre les examens.

2. Une IRM: Elle a pour but de vérifier l’éventuelle atrophie de l’hippocampe (région du cerveau impliquée dans le processus de mémorisation et de localisation spatio-temporelle).

3. Une ponction lombaire:Elle permet de déceler la présence de la protéine toxique (amyloïde), preuve d’une destruction neuronale

La seconde raison est l’excès de contrôle. Trop s’écouter, être focalisé sur la peur de se tromper, se «regarder» parler sont autant d’attitudes qui ont toutes les chances de mettre notre mémoire en situation de stress, et de la faire trébucher. On peut toutefois éviter ce genre de trous de mémoire «en se faisant confiance, explique le Pr Démonet. L’idéal est de trouver le subtil équilibre entre le lâcher prise et l’autocontrôle, naturel et inconscient, qui se met en route quand nous agissons face aux autres.» L’aide peut aussi venir de l’extérieur. Pour les acteurs, comédiens ou chanteurs, souvent dotés d’une mémoire performante, le jeu de scène, la logique des dialogues ou encore l’accompagnement instrumental portent les paroles et sont autant de points de repère.

Les trous de mémoire sont le plus souvent sans gravité

Le mot sur le bout de la langue

Mais que se passe-t-il dans le cerveau quand une information ne revient vraiment pas? L’exemple classique est ce mot que l’on a «sur le bout de la langue», le nom d’un acteur par exemple. On voit son visage, déroule sa filmographie, visualise un prénom, mais impossible de sortir l’information. Le Pr Démonet avance pour ce cas une autre explication que l’état émotionnel: «En fait, il s’agit d’une compétition entre différents candidats qui jouent un rôle dans le rappel du souvenir: une partie de notre cerveau (siège de la mémoire lexicale) va sortir un nom, mais qui ne convient pas à une autre partie (hôte de la mémoire sémantique), détentrice, elle, des indices. Il y a alors discordance et blocage, puisque le nom énoncé va momentanément faire écran à toute autre possibilité.» Que faire? Laisser décanter, et ne pas s’inquiéter: l’information a toutes les chances de revenir d’elle-même dans les instants qui suivent. Cette «absence» est désagréable, mais fréquente. «Elle est en réalité le résultat d’une grande connaissance, poursuit le neurologue. Notre mémoire ressemble alors à une bibliothèque devenue très fournie, avec un index qui a du mal à suivre.»

Si ces situations font référence à des informations bel et bien présentes, certains trous de mémoire sont dus au fait que l’information a été mal enregistrée, voire pas du tout. «L’encodage des informations est directement influencé par l’état physique et psychique, rappelle le Pr Frisoni. Le manque d’attention, la fatigue, l’émotion sont autant de facteurs qui peuvent perturber la mémorisation.» Rien d’étonnant donc à ce qu’il ne reste que des bribes floues d’un film, pas vraiment passionnant, vu un soir après une journée de travail éreintante!

Résultat de nos vies intenses, reflet de nos émotions et de nos fragilités, les défaillances de la mémoire peuvent toutefois prendre une tournure tout autre et justifier une consultation médicale. Les signes qui doivent alerter? «Si les trous de mémoire deviennent plus fréquents de semaine en semaine, de mois en mois, et qu’ils changent de nature: on n’oublie plus ses clés ou des mots, mais par contre, la visite d’un parent n’a laissé aucun souvenir», indique le Pr Frisoni. Autre indication précieuse: l’avis de l’entourage. Etre conscient de ses trous de mémoire est déjà un signe qu’il ne s’agit pas d’une pathologie grave. C’est pour cette raison que pour évaluer les éventuelles défaillances, les proches sont généralement les meilleurs juges.

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