Un avortement n’est jamais un acte banal!
Depuis 2002, l’interruption volontaire de grossesse est légale en Suisse (lire l’article «Interruption volontaire de grossesse: la loi suisse respecte la liberté de décision de la femme»). Alors, les adversaires prophétisaient une banalisation et une hausse du nombre d’avortements. Or, la réalité est toute autre, puisque leur nombre a reculé, puis s’est stabilisé (lire encadré).
«Décider d’interrompre sa grossesse n’est et ne sera jamais un acte banal! s’insurge la Drsse Michal Yaron, médecin-adjointe, responsable des consultations ambulatoires de gynécologie, de gynécologie pédiatrique et des adolescentes aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est une décision extrêmement difficile à prendre pour les patientes, quelles que soient leurs raisons. Dire que c’est banal est très injuste envers elles.»
Nombre d’avortements stable depuis 2004
En 2011, 11’079 interruptions de grossesse ont été annoncées en Suisse, dont 4% concernaient des femmes résidant à l’étranger. Depuis 2004, le nombre d’avortements est resté stable, y compris chez les adolescentes (moins de 1% des moins de 16 ans), selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS).
Près de trois quarts des interventions ont lieu dans les 8 premières semaines de grossesse et 4% après 12 semaines.
Processus multidisciplinaire
D’ailleurs, une femme ne peut pas avorter sans autre. Elle est légalement tenue à suivre toute une procédure (lire notre article «Interruption volontaire de grossesse: la loi suisse respecte la liberté de décision de la femme»).
Aux HUG, comme dans d’autres hôpitaux, chaque patiente venant demander une interruption de grossesse est prise en charge de manière globale. «Nous conseillons d’ailleurs de procéder à une IVG dans un hôpital, car ici nous pouvons offrir cette prise en charge globale et un suivi, qui ne peuvent pas toujours être assurés par un médecin privé autorisé à pratiquer les IVG (n.d.l.r. le médecin pratiquant cet acte médical doit avoir reçu l’aval des autorités cantonales)», note Michal Yaron. La prise en charge médicale sert en effet aussi à évaluer les enjeux pour la patiente et à s’assurer que l’avortement est la meilleure solution pour elle.
Comment savoir si on est enceinte
Bien des jeunes filles et femmes s’imaginent qu’elles ne peuvent pas tomber enceintes si elles utilisent un moyen de contraception. Or, aucun mode de contraception n’est infaillible!
De même, beaucoup pensent que l’absence de menstruations est le principal indicateur d’une grossesse. En réalité, les saignements ne s’arrêtent pas forcément immédiatement quand une femme tombe enceinte: ils peuvent aussi changer de rythme, devenir plus ou moins abondants, changer d’apparence. Il faut donc que la femme soit à l’écoute de son corps, et effectue un test de grossesse dès qu’elle constate un changement corporel: prise de poids, sensibilité accrue, gonflement des seins et bombement des mamelons qui deviennent plus foncés, crampes, fringales et changement des préférences alimentaires, fatigue, nausées, etc.
Et attention: le test de grossesse vendu en pharmacie ne doit être effectué que deux semaines et demi après le dernier rapport sexuel! Avant ce délai, il risque fort de donner un résultat négatif, même si la femme est bel et bien enceinte!
La prise en charge des moins de 16 ans
La loi stipule qu’une patiente de moins de 16 ans souhaitant avorter doit consulter un centre spécialisé, comme celui de la Maternité des HUG, ou le Planning familial, à Genève. Cela pour assurer une prise en charge globale d’une situation parfois complexe, notamment pour une adolescente. Un premier entretien avec une infirmière spécialisée permet d’évaluer les motivations de la jeune fille et son contexte de vie. On apprécie ainsi les différents aspects de sa situation, son âge, son contexte psychosocial, sa capacité de discernement, son entourage et les difficultés particulières qu’elle peut vivre. Elle aura encore un suivi individualisé après l’IVG.
Secret médical respecté
L’infirmière va demander aussi si les proches – famille, partenaire – de la patiente sont au courant de sa grossesse. Ils ne sont pas informés si la jeune fille est capable de discernement, et qu’elle ne souhaite pas avertir ses parents de la situation. En effet, le secret médical prévaut.
Parallèlement, les professionnels s’assurent que la jeune fille dispose d’un bon soutien dans son environnement proche (partenaire, tante, sœur, assistante sociale, etc.). «Dans la plupart des cas, presque tout le monde – famille, partenaire – est au courant», note la Drsse Yaron.
Un pédopsychiatre, formé dans la prise en charge des adolescentes enceintes, établit ensuite un bilan de santé et évalue si elle est apte à prendre seule la décision d’avorter, et si elle peut recevoir le traitement abortif (lire notre article «Avortement: la méthode médicamenteuse est la plus recommandée»).
La jeune fille sera également vue par un gynécologue qui fera un bilan gynécologique complet ainsi qu’une échographie pour dater la grossesse.
Si aucun des parents n’est au courant de sa grossesse, seule l’IVG chirurgicale sera pratiquée sur les patientes mineures (de moins ou plus de 16 ans).
Après un dernier entretien, au besoin avec une assistante sociale, pour lui présenter les diverses options et aides disponibles pour éventuellement mener la grossesse à terme (aides financières, adoption par exemple), le dossier de la jeune fille doit être soumis à l’approbation du chef de clinique/médecin adjoint responsable des IVG.
Les facteurs motivant une IVG
«Plus de la moitié des grossesses non désirées sont dues à un échec contraceptif, chez les plus jeunes souvent à cause de méconnaissances autour de la sexualité et d’informations lacunaires sur les moyens de contraception», constate Michal Yaron.
Toute une série de raisons peuvent mener une femme à avorter. Dont une capitale: le sens des responsabilités envers le futur enfant. Très important également: le manque de solidité du couple et de la famille et l’incapacité d’allier une formation ou activité professionnelle et un enfant. Ce à quoi s’ajoutent des doutes quant à l’aptitude d’élever un enfant, la peur de l’avenir, le surmenage, le respect des sentiments des partenaires. Pour certaines patientes étrangères, notamment les requérantes d’asile, c’est souvent leur statut très précaire qui est décisif.
La prise en charge des femmes adultes
Les femmes majeures souhaitant une IVG suivent un parcours similaire à celui des plus jeunes. Première étape: un entretien avec les infirmières spécialisées des HUG ou au planning familial, pour déterminer les motivations de la patiente, la contraception utilisée et les raisons de son échec, ainsi que des conseils pour éviter une grossesse involontaire à l’avenir.
Deuxième étape: une consultation médicale pour effectuer un bilan de santé et gynécologique complet et une échographie, afin de dater la grossesse. Si la femme n’est pas enceinte de plus de neuf semaines, on lui conseillera la méthode médicamenteuse.
Si les spécialistes sentent que la patiente n’est pas sûre de son choix ou si elle souhaite avorter à cause de problèmes conjugaux ou d’une situation financière précaire par exemple, elle est envoyée vers un professionnel ad hoc (assistante sociale, conseillère en planning familial, etc.). Il évaluera avec elle tous les enjeux autour de sa demande et les autres solutions existantes.
En cas de problèmes psychologiques importants, la patiente est également vue par une équipe spécialisée et expérimentée (psychiatre et/ou psychologue).
Prévention primordiale
Après l’IVG, il est primordial d’éviter que la patiente ne se retrouve à nouveau enceinte malgré elle. C’est fréquent, surtout chez les plus jeunes. A titre préventif, aux HUG, en collaboration étroite avec le Planning familial, elle recevra donc les informations nécessaires à une contraception efficace et à une protection contre les IST (infections sexuellement transmissibles). «Nous informons notamment sur la contraception d’urgence (lire notre article «La pilule d’urgence en 10 questions»), dont beaucoup de femmes ignorent encore le fonctionnement. Par exemple, qu’on peut la prendre jusqu’à 72 heures (au plus tard 5 jours, car son efficacité baisse rapidement) après le rapport sexuel, et qu’elle est en vente libre dans les pharmacies, sauf pour les mineures de moins de 16 ans, note la Drsse Yaron, et d’ajouter: Mais attention, plus l’intervalle entre le rapport sexuel non protégé et la prise de cette pilule est long, moins celle-ci sera efficace».
Suivi psychologique
Les HUG proposent aussi un suivi psychologique pour permettre aux femmes de surmonter cet événement toujours douloureux. Et les mineures se voient proposer un contrôle un mois après. «Même si toutes les patientes sont soulagées après l’IVG, elles sont aussi ambivalentes. Certaines aimeraient par exemple connaître le sexe du fœtus, ce qui est impossible à ce stade précoce de grossesse, note Michal Yaron. Pour éviter les regrets et la culpabilité qui surgissent souvent longtemps après, j’encourage les patientes à bien intégrer le fait qu’elles ont dû prendre cette décision ici et maintenant, dans un contexte donné où elles n’avaient pas d’autre choix.»