L’autisme: un trouble complexe et encore mal compris
Personne n’a oublié Rain Man, campé par l’excellent Dustin Hoffman. C’était à la fin des années nonante. Le film américain était l’un des premiers à mettre en scène un autiste, Raymond, personnage attachant et incompris, enfermé dans ses angoisses, ses comportements répétitifs, ses habitudes enracinées, mais aussi doté de capacités exceptionnelles de mémorisation et de comptage. Si le film aux multiples récompenses a fait avancer la cause, l’autisme demeure, encore aujourd’hui, un trouble mal compris par beaucoup.
L’autisme est actuellement reconnu comme un trouble neuro-développemental aux manifestations très diverses et d’intensité variable. L’affection est également très complexe au niveau des causes, puisque des facteurs aussi bien génétiques, métaboliques que neurobiologiques, etc. en seraient à l’origine. Mais, contrairement aux idées reçues, ce n’est pas une maladie psychique, ni un trouble de la personnalité. Sur son site internet, l’Association Autisme Suisse romande précise qu’on ne devient pas autiste, mais «on naît autiste de la même manière que l’on vient au monde avec des grandes ou des petites oreilles».
En Suisse, chaque année, trois à quatre enfants sur 1000 naissent porteur d’un syndrome autistique, avec une prédominance chez les garçons (moins d’1% d’entre eux naissent avec un autisme pur), car seule une fille sur quatre en souffre, selon Valérie Dessiex, spécialiste en psychologie clinique et psychothérapie à la Consultation multidisciplinaire du psycho-développement (CMPD) de l’Unité de guidance infantile des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Dans cette consultation genevoise, 150 enfants sont suspectés chaque année d’être porteur de ce syndrome. Des chiffres qui seraient en nette augmentation, en partie à cause de l’amélioration de la détection du trouble, de la meilleure connaissance des spécialistes et de la nouvelle classification internationale (DSM V). En effet, on regroupe désormais toutes les formes et les degrés d’autisme (autisme profond, troubles envahissants du développement, syndrome d’Asperger, etc.) sous les termes de « Troubles du spectre autistique (TSA)».
Symptômes
Globalement, les déficiences touchent trois domaines: les interactions sociales, la communication (verbale et non verbale) et le comportement. L’enfant autiste dispose d’un répertoire restreint d’intérêts et de comportements, eux-mêmes associés à des stéréotypies qui sont une répétition de gestes ou d’attitudes dans des proportions démesurées (allumer et éteindre la lumière plusieurs fois de suite, taper des mains, se mettre sur les pointes des pieds, par exemple). En marge de ces symptômes, un retard mental est associé dans 75% des cas.
Les premiers signes
Les signes précoces évoquant un trouble du développement peuvent s’exprimer dès l’âge de six mois déjà, sans qu’on puisse encore poser un diagnostic. «Un enfant qui ne réagit pas à son prénom, qui ne babille pas, qui ne regarde pas dans les yeux des personnes qui l’entourent, qui n’aime pas être pris dans les bras, qui donne l’impression de se suffire à lui-même, qui est plus intéressé par ses mains que par le visage de ses parents, qui est centré sur ses propres sensations, qui (vers l’âge de trois mois) n’a pas le sourire social, ne pointe pas du doigt, etc. doivent alerter les parents. Mais attention, ces signes ne sont pas spécifiques à l’autisme. Pris isolément, ils n’ont aucune valeur», déclare la psychologue genevoise. Le jeu est aussi un terrain sur lequel l’enfant autiste va exprimer sa différence: «Il privilégie les activités axées sur le sensoriel et l’autostimulation, au détriment des jeux d’imitation. Il délaissera également les personnages ou figurines au profit des objets, se concentrant sur leur mouvement. Il pourra par exemple regarder tourner indéfiniment les roues d’une petite voiture, poursuit-elle. Il passera également du temps à aligner des objets plutôt qu’à les animer». Aussi, l’enfant peut donner l’apparence de communiquer, mais sans véritablement interagir socialement avec les autres.
A ce titre, l’acquisition du langage peut être très problématique – certains enfants ne parlent pas, voire très peu. En effet, 50% des autistes purs ont des troubles du langage ou n’y accèdent carrément pas. D’autres, en revanche, arrivent à développer des compétences langagières. Mais la communication reste souvent imprécise du fait de leur incapacité à comprendre les subtilités du langage, comme l’implicite ou l’ironie. Dans l’interaction par exemple, ils peuvent répéter une question qui leur est posée plutôt que d’y répondre (phénomène d’écholalie). Sur le plan affectif, ces sujets comprennent mal les émotions des autres quand ils ne s’en détournent pas, étant incapables d’empathie.
Un diagnostic difficile
Aussi manifestes que ces symptômes puissent paraître, le diagnostic de l’autisme n’est pas simple à poser, tant les expressions du trouble sont individuelles. Bien que des signes évocateurs puissent s’exprimer assez précocement, la plupart de ces enfants sont diagnostiqués vers l’âge de quatre ans. A cet égard, il appartient à un collège de spécialistes –pédopsychiatres, psychologues, logopédiste, etc. – d’établir un diagnostic différentiel, pour cerner au plus près les problèmes de l’enfant. Pour le Pr. Patrice Guex, ancien chef du Département de psychiatrie du CHUV à Lausanne, «il est très important de ne pas confondre l’autisme avec d’autres troubles. Aussi, si l’on conclut à la présence d’un tel syndrome, il faut apprécier avec finesse où le jeune patient se situe dans le continuum du spectre autistique. Il ne faut évidemment pas tarder à faire le diagnostic, mais éviter aussi de sur-diagnostiquer, de coller trop tôt une étiquette de handicap à l’enfant ou de le figer dans une pathologie; en effet, certains peuvent avoir des attitudes autistiques dans le cadre de troubles fonctionnels, qui peuvent évoluer». Valérie Dessiex, est d’accord avec le professeur Guex. Le diagnostic différentiel avec d’autres troubles est très important. Elle ajoute qu’émettre une hypothèse diagnostique permet de guider les parents dans la compréhension des manifestations de son enfant et d’élaborer une prise en charge adaptée pour l’aider au mieux dans ses difficultés et pour augmenter ses chances de progression.
Pour déterminer le profil développemental et comportemental de l’enfant, de nombreux paramètres sont investigués: la motricité, le pré-langage, le langage, le niveau de jeu, les interactions, les aspects sensoriels, l’expression des émotions, leur compréhension, etc. «Pour qu’il se sente rassuré et donne le meilleur de lui-même, nous favorisons la présence des parents lors des consultations», poursuit la psychologue.
Aider l’enfant dans sa spécificité
Une fois le diagnostic posé, l’orientation du traitement sera donnée par les spécialistes en fonction du degré de handicap et des pathologies associées (épilepsie, troubles du sommeil par exemple). «Si certaines thérapies ont le vent en poupe, il n’y a pas aujourd’hui, d’un point de vue scientifique, une méthode qui serait supérieure à une autre, selon le Centre réputé de Montréal du Professeur Morton, assure le Pr Guex. Dans l’idéal, il faut privilégier une prise en charge intégrative, c’est-à-dire ouverte sur différents types de traitements et d’intervenants (psychiatres, psychologues, éducateurs spécialisés, logopédistes, ergothérapeutes, etc.)». Un programme à la carte, pour que l’enfant développe un maximum de compétences dans la communication, les interactions sociales, mais aussi dans les domaines cognitif, relationnel, affectif et comportemental. Un avis que partage Valérie Dessiex, pour qui «l’erreur serait de ne retenir qu’une seule approche». Cela, sans négliger le vécu émotionnel et affectif du patient, insiste le Pr Guex: «Il faut être attentif à ses sentiments, à la douleur psychique qu’il pourrait ressentir face à son isolement. Accueillir le patient aussi dans son histoire singulière, même si, pour certains, il faudrait être essentiellement comportementaliste.»
Deuil de l’enfant idéal
Le soutien des parents et la prise en compte de leur souffrance est également indispensable, tant les implications de l’autisme sont énormes sur la vie de famille. Le deuil de l’enfant idéal, l’épuisement parental, le développement de comportements et de réactions contre-performantes, l’isolement social, les inquiétudes liées à l’avenir de l’enfant, sa dépendance, la «parentification» des frères et sœurs, les conséquences économiques, l’immense désarroi et la difficulté à savoir à qui se référer, à quelle instance vraiment faire confiance, etc. sont autant de conséquences de l’autisme que les parents sont forcés d’apprendre, autant que possible, à gérer.